Si Bruno Dumont compose une satire féroce de l’information-spectacle avec, dans le viseur, la recherche frénétique du scoop et du spectaculaire impliquant une reconstruction de la réalité, il semble tout autant intéressé par les médias que par le medium de façon plus générale, comprenons « le milieu », « l’intervalle ». La figure de France est en effet au cœur des préoccupations : présentatrice-vedette du journal, elle occupe le premier plan lors des investigations menées dans des zones sinistrées ; c’est elle qui donne à son équipe le ton, le rythme, le cadrage souhaités, c’est elle qui met en scène le reportage à la manière d’une réalisatrice. Dumont perçoit alors son personnage comme un double non de sa personne mais de sa condition de cinéaste et invite le spectateur à se défier des images qu’il crée ; règne un doute initial sur l’authenticité des réactions de France lorsqu’elle interagit avec son entourage ainsi qu’avec nous-mêmes : est-elle sincère ? interprète-t-elle un rôle ?
Pourtant, cette suspicion tend à se lever à mesure que la présentatrice se voit rattrapée par une détresse intérieure contre laquelle elle ne peut lutter. Un accident de la route, et la voilà en larmes sur un plateau ou sur le terrain, sans pouvoir rien y faire. Comme si elle venait brutalement de se rendre compte qu’elle alimentait moins les médias qu’elle n’en était devenue un elle-même, un medium, un intermédiaire artificiel – puisque télévisé – entre une information et un public, un être fictif que l’on aborde sans gêne dans la rue pour des photos et des autographes. Une scène magnifique montre France assise sur un banc en train de pleurer : un couple l’aborde, obtient d’elle un souvenir puis l’homme l’interpelle à voix haute en lui demandant pourquoi elle pleure. Sur un ton de reproche. Comme si cela était interdit. Parce que les larmes ne coïncident pas avec le statut d’icône, hors de portée de l’humain. France prend conscience qu’elle est un moyeu vide autour duquel gravitent des individus sans scrupules, qu’elle ne croit en rien d’autre qu’en elle-même ; en cela, elle offre une déclinaison à un autre personnage féminin cher au cinéma de Bruno Dumont, à savoir Jeannette, qui fixait le Ciel pour chanter son appel à l’aide.
Les larmes raccordent France à cet état de dépouillement et de fragilité extrême devant l’existence, elles altèrent son visage et placent l’ombre de la mort sur ses paupières, elles lui font ressentir le besoin de croire auquel se heurte une vision sceptique et désabusée, transmise en partie par la société française contemporaine. « Mes larmes sont ma nourriture jour et nuit pendant qu’on me dit sans cesse : Où est ton Dieu ? » (verset tiré des Psaumes, 42:3). Ce tiraillement enferme davantage encore France dans la solitude, une solitude qui ne se partage pas, même auprès des psys en tout genre, une solitude qui s’éprouve également au contact de ceux qui ont la foi, en l’occurrence ici cette épouse éplorée dont le mari, autrefois condamné pour viols, a emporté la vie d’une jeune fille. Elle répète que « tout le monde peut changer », que c’est là le fondement de la croyance. France lui oppose un air de mépris teinté de désespoir, à jamais incapable de se défaire d’un costume médiatique qui lui colle à la peau.
Un grand film sur la détresse du numérique qui « appuie fort pour y voir plus clair », une caricature plus subtile qu’il n’y paraît campée par une Léa Seydoux sublime – elle tient là l’un de ses meilleurs rôles.