Etats d’âme
S’il est un cinéaste qui crée quasi systématiquement la polémique, c’est bien notre nordiste Bruno Dumont. Aussi, après Jeanne, Ma Loute, P’tit Quinquin, Hors Satan, Flandres L’Humanité ou La Vie de Jésus, on attendait avec impatience – ou pas -, sa nouvelle comédie dramatique. 134 minutes de ce que l’on peut qualifier à la fois de portrait de femme, journaliste à la télévision, d’un pays, le nôtre, et d’un système, celui des médias. Comme vous le voyez, il ne s’agit pas vraiment d’un pitch traditionnel. D’ailleurs, voilà un adjectif qui ne colle pas du tout avec notre cinéaste. Beaucoup de très belles choses, d’idées fortes portées par une merveilleuse actrice. Mais, à la sortie, on se sent désemparé, en proie à un sentiment mi-figue mi-raisin… vous me direz, ce sont des fruits de saison…
Dumont tente de nous démontrer que les médias – comme les réseaux sociaux - constituent une sorte d’univers parallèle où le cynisme et la cruauté règnent en maître. Tout y est faux et laid. Je pense que la mise en scène et le jeu souvent appuyé des acteurs et actrices sont volontaires et veulent traduire le malaise permanent généré par cette télé poubelle et ceux qui la font. Tous participent à un système industriel idéologique et marchand et, quelque part, nous en sommes les complices. Le propos est fort, la dénonciation violente, mais, hélas, on se perd un peu dans les méandres psychologiques de l’héroïne soudainement hantée par de nouveaux démons. Intéressant mais trop factice pour être totalement captivant. Le personnage de la star des médias semble participer à un roman-photo : dans sa vie, rien n’est « pour de vrai », sa voiture n’a pas de portières, son appartement ressemble à un musée, etc. Tout n’est que représentation dans un romanesque trop beau pour être vrai. Dumont sait visiblement ce qu’il fait, mais parvient-il vraiment à nous emporter dans son univers ? J’en doute.
Léa Seydoux porte le film de bout en bout. Tour à tour séductrice, femme correspond de guerre, manipulatrice, désespérée, adulée puis détruite… elle joue sur toute la palette des sentiments. Blanche Gardin, l’assistante grossière et superficielle, s’en donne à cœur joie et est la seule du casting à ne pas « faire du Dumont ». Quant à Benjamin Biolay et Emanuele Arioli, ils sont inconsistants. Pour les reste, on a le droit à un défilé de petits rôles souvent tenus à ces « tronches » si chères à notre ch’ti. Un panorama de la turpitude des élites dévolues à l'aliénation des masses, tout en sournoiserie apocalyptique. Un jeu de massacre cruel mais déroutant où la représentation d’un événement compte bien plus que l’événement lui-même. A noter que la musique originale du film est signée par Christophe juste avant sa disparition en 2020. A vous de juger !