Alaa Eddine Aljem a eu l’idée d’un village adorant un "Saint Inconnu" de par le fait qu'il a, lorsqu'il était enfant, beaucoup traversé le sud du Maroc avec sa mère. Des images lui sont ainsi restées, comme ces petites constructions blanches se situant au sommet d’une colline ou au contraire isolées au milieu de terrains vagues. Le cinéaste se rappelle :
"Je trouvais ça très beau, sans savoir vraiment pourquoi. Et bien plus tard, alors que j’étais en repérages pour un autre film, j’ai vu l’un de ces mausolées. Je m’approche. Il n’y a pas de nom. J’interroge le gardien : « Qu’est-ce que c’est ? » « Un mausolée d’un saint très puissant », me répond-il. « Mais qui ? » « Franchement, je ne sais pas ». Il y a beaucoup de mausolées comme ça au Maroc. Les saints qui s’y trouvent n’ont pas été canonisés selon le long processus de l’Eglise catholique ! On les appelle aussi des marabouts : le mot désigne à la fois le mausolée et celui qu’il abrite. Il y en a un très connu au Maroc, dont l’histoire est amusante : un villageois possédait un âne qu’il adorait. A sa mort, il a voulu lui donner une sépulture. Bien sûr, il ne pouvait pas l’enterrer dans le cimetière des villageois alors il l’a fait plus loin, à la sortie du village. Plus tard, des gens ont construit un mausolée au-dessus de sa tombe, et c’est devenu un saint très connu dans le pays, même si on sait qu’en fait il s’agit d’un âne…"
Le village du Miracle du Saint Inconnu est perçu, en partie, comme un microcosme du Maroc. Alaa Eddine Aljem explique à ce sujet : "Le pays est arrivé à une époque assez cruciale. Sous Hassan II, la vie était assez dure. Mohamed VI a apporté un souffle de renouveau : il voulait moderniser le pays, diversifier les activités économiques. C’était un roi jeune qui a amené un gros espoir. Aujourd’hui, ce souffle s’est épuisé. Au Maroc, la jeunesse ressent la nécessité d’un nouveau projet. Des amis à moi qui n’aiment pas le foot priaient pour que le Maroc organise une Coupe du Monde : si seulement on pouvait avoir ça, disaient-ils, ce serait un objectif national. On aurait eu envie d’y croire et on serait allé de l’avant. Le Maroc a besoin de ce souffle-là. On ne peut pas se contenter d’être des individus dans un espace géographique, il faut une croyance commune. Ça se ressent très fort dans les sociétés comme la mienne, où il y a un ensemble de codes de croyances populaires très important, très nourri, qui existe depuis très longtemps."
Le film est présenté à la Semaine Internationale de la Critique au Festival de Cannes 2019.
Alaa Eddine Aljem définit Le Miracle du Saint Inconnu comme une fable burlesque, mais aussi comme un film choral, bâti autour de plusieurs personnages, sur le rapport à la foi et l’observation de la transformation d’une microsociété. Le réalisateur précise : "Dans les courts-métrages que j’ai faits auparavant, les points de départ étaient similaires : j’aime partir d’une situation absurde et je cherche à exploiter son potentiel dramatique aussi bien que comique. L'avantage du burlesque est qu'on peut être sérieux tout en restant léger à la surface. Cela permet d'avoir une écriture sur deux degrés. Un premier, accessible à un grand public et un deuxième, qui nécessite de l'interprétation et une certaine cinéphilie. C'est une des défis de ce film, arriver à un juste équilibre entre le premier et le deuxième degré, entre le drame et la comédie. D'autant plus, qu'avec une touche d'humour et de légèreté j'ai l'impression qu'on peut aborder tous les sujets même les plus sensibles et tabous sans être dans la provocation."
Si certains comédiens du Miracle du Saint Inconnu sont des débutants, d’autres sont très connus au Maroc, comme le médecin, joué par Anas El Baz, qui jouait dans Retour à Bollène. Alaa Eddine Aljem raconte au sujet des personnages de son film : "J’ai évité la psychologie, on ne sait rien du passé des personnages. Chacun d’entre eux est identifié par sa fonction et ça suffit pour comprendre leur place dans l’histoire. La plupart n’ont pas de nom, ce sont des archétypes : le père, le barbier, le voleur, etc. Je voulais les caractériser à minima, je ne voulais pas aller chercher de l’émotion par un ressenti ou un arc narratif propre à chacun d’entre eux. Les situations devaient suffire. J’ai fait quelques séances de répétitions avec les acteurs et je leurs ai expliqué le ton et le registre du film. Comment ils devaient jouer plus avec leurs corps et leurs regards que les expressions de leurs visages. J’ai cherché à leur expliquer puis à les habituer à cette mise en scène, parfois un peu chorégraphiée dans les déplacements et les échanges de regards, qui les oblige à être dans la retenue. Intérioriser les ressentis et les émotions et jouer avec les silences et les temps morts."