Suprêmes, la nouvelle réalisation d’Audrey Estrougo, nous plonge directement dans le 93 à la jonction des années 80 et 90, pour nous compter les balbutiements du mythique groupe NTM.
À l’origine trente, l’ambition et la réalité rattraperont les principaux acteurs de NTM, qui devront faire des choix pour avancer.
Premier point, les acteurs, quel travail d’interprétation ! Théo Christine se confond totalement avec JoeyStarr, et nous campe un Jaguar Gorgone très juste, dans sa sensibilité profonde et son côté bestial. Pour ceux qui ont vu NTM sur scène, vous pourrez témoigner de la justesse de son jeu scénique, belle révélation pour cet acteur. Les scènes de la vie privée de JoeyStarr apportent de l’épaisseur au personnage, beaucoup d’anecdotes terribles sur sa jeunesse (qu’il compte dans son livre Mauvaise réputation) sont distillés avec parcimonie, nous faisant comprendre toutes les souffrances intérieures de cet homme méprisé ayant une revanche à prendre sur la vie.
Sandor Funtek quant à lui, déjà plus confirmé, est parfait dans le rôle plus timide de Kool Shen, déjà la ressemblance colle parfaitement, mais le jeu également. Ici, Kool Shen est un jeune homme ambitieux, à la plume aiguisée, mais est encore un peu timoré, JoeyStarr l’aidera à prendre confiance en lui et il s’affirmera au fur et à mesure du long-métrage. On regrettera qu’il n’y ait pas plus de scènes le concernant, que ce soit avec sa famille, ou sa compagne de l’époque Lady V (décédée tragiquement en 2000, Kool Shen lui dédiera son album solo Dernier Round, dans lequel le morceau Un Ange dans le Ciel, un titre magnifique et mélancolique, lui rend hommage), si quelques passages lui donnent de l’épaisseur, sa psychologie est très peu abordée, et son temps d’écran est très inférieur à celui de Joey Starr.
L’ambiance de la Seine-Saint-Denis des années 88-92 est le second point positif du film, nous sommes plongées dans une époque ou une partie de la jeunesse se réveillait face aux problèmes sociaux, tout en étant parfois insouciante et tout simplement, pleine de vie. Loin des problématiques actuelles mais ayant les siennes, la jeunesse des années 90 semblait soudée par un seul désir, celui de changer les choses.
La direction artistique est réussie, les ambiances nocturnes tantôt enfumées, tantôt froides, sont de toute beauté. Les tenues d’époques sont amusantes à redécouvrir, et la coupe mulet de Kool Shen est à inscrire au patrimoine mondial de L’Unesco.
Audrey Estrougo a fait le choix de mettre énormément de scènes de live du groupe, dans lesquelles nous avons le plaisir d’écouter leurs premiers titres, couvrant la période d’Authentik jusqu’à la consécration du Zénith de Paris de 1992. Ce choix peut être un défaut, car les lives prennent une place si grande qu’ils éclipsent de potentielles scènes de développement des personnages et de l’intrigue.
J’aurais à titre personnel bien-aimé que le film aborde la compilation Rapattitude, et mette plus en avant Rockin’ Squat et Solo (du groupe Assassin), qui ont été important dans les débuts d’NTM.
En bref, Suprêmes est une réussite qui en dépit de petites lacunes, se regarde avec un grand plaisir, pour les fans du groupe et ceux qui souhaiteraient le découvrir.