Naples, mafia, adaptation d'un livre de Roberto Saviano, la couleur est annoncé dix ans après Gomorra, réalisé par Matteo Garrone à partir d'un roman du même auteur. Cette fois c'est Claudio Giovannesi qui s'est emparé du projet, lui dont la notoriété est jusqu'ici restée cantonnée au milieu des festivals avec Ali a les yeux bleus (2012, festival international du film de Rome) et Fiore (2016, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes). Comment renouveler à sa modeste échelle, la teneur des images traduisent le petit budget alloué au film, le genre mafieux tant de fois magnifié par le passé ? Le scénario opte pour traiter le sujet à hauteur de ses personnages adolescents, sans accabler leurs actes ni les idéaliser. Ainsi, suite à une scène introductive nous offrant un cérémonial guerrier d'un clan victorieux, on s'attache à une tranche de vie de gentils perdants, tentant de s'incruster dans les cercles branchés de la nuit napolitaine sans en avoir les moyens. De cette frustration originelle va naître un ensemble de motivations, pour la plupart purement matérialistes, afin de se retrouver de l'autre côté de la barrière.
On peut regretter le gros coup d'accélérateur mis alors dans cette quête, un deus ex machina simpliste permettant aux petits hommes de main subalternes de devenir aussitôt les rois du quartier. La spirale ultra rapide de la petite à la grande délinquance ne se soucie pas des sensibilités particulières, suppose qu'un dealer ordinaire est forcément habilité à prendre les armes du jour au lendemain. Passé ce défaut majeur rappelant l'ascension dans Scarface (l'ultra surcoté modèle du genre), on se laisse prendre quand même au charme de cette chronique criminelle. Notamment grâce aux traits si expressifs et diversifiés du rôle principal, ce Francesco Di Napoli, que l'on peut croire prédestiné à cette composition de baby boss. Il porte sur ses épaules l'ambiguïté de son rôle social, fils et frère attentionnés, amoureux transi, intransigeant chef de meute. Son idylle façon « Roméo et Juliette » avec une jeune fille d'un quartier ennemi passe crème car elle ne prend jamais le pas sur le propos d'ensemble.
Une autre protagoniste impalpable domine le film : Naples, dont le portrait est de nouveau peu avenant voire rebutant, ses ruelles sombres, ses recoins glauques, ses dédales semblant vouer aux courses-poursuites et règlements de comptes. Comme si le cadre imposait ses codes aux individus et non l'inverse, comme si la saleté des lieux et des esprits étaient intrinsèquement liés. Pour témoin le fatalisme poignant de ce commerçant reprochant à Nicola et sa bande d'être devenus des racketteurs comme les autres, loin des promesses faites initialement. C'est ici le plus gros degré d'engagement du réalisateur, et d'un Saviano vivant sous protection policière depuis des années : affirmer l'impossibilité d'une mafia protectrice servant l'intérêt général, l'appât du gain rendant caduque toute intention d'être un bandit d'honneur. Aussi artisanale soit-elle, la mise en scène réserve suffisamment de fougue pour gagner notre intérêt, en dépit d'un cadre spatio-temporel mal défini (les smartphones vont à l'encontre d'un ancrage dans les 80's) et d'une fin abrupte qui divisera. Après avoir raconté le récit tragique du clan de Nicola, le scénario refuse de prendre partie et renvoie les différentes bandes dos à dos.