Everything Everywhere All at Once : les secrets du tournage

Nommé dans 11 catégories, Everything Everywhere All At Once est le grand vainqueur des Oscars avec 7 prix : Meilleur Film, Meilleure Réalisation, Meilleure Actrice pour Michelle Yeoh, Meilleurs Seconds Rôles Féminin et Masculin pour Jamie Lee Curtis et Ke Huy Quan, Meilleur Scénario et Meilleur Montage. Un palmarès d'autant plus marquant qu'il s'agit du premier Oscar de la meilleure actrice remportée par une comédienne asiatique.

Sorti le 25 mars 2022 dans les salles américaines, Everything Everywhere All At Once avait atteint malgré son faible nombre de copies 1,76 million d'entrées en 15 jours d'exploitation. Depuis, le film a amassé quasiment 100 millions de dollars dans le monde, soit le plus gros succès de A24, qui produit le film.

Les Daniels est le pseudonyme sous lequel officient Daniel Kwan et Daniel Scheinert, qui écrivent et réalisent ensemble depuis plus de dix ans des clips musicaux (dont Turn Down for What de DJ Snake et Lil Jon dans lequel Daniel Kwan montre ses talents de danseur), des épisodes de séries télévisées, des courts et des longs-métrages. Leur précédent et premier long, le déluré Swiss Army Man, mettait en scène Paul Dano qui, échoué sur une île déserte, se liait d’amitié avec le cadavre de Daniel Radcliffe.

À l’instar du dessin d’Ikeda Manabu, History of Rise and Fall, qui représente un tourbillon de pagodes, de branches de cerisier entremêlées et de voies ferrées, et qui est sur l’un des murs du bureau du réalisateur Daniel Kwan, les Daniels souhaitaient mettre en scène une œuvre chaotique et grouillante d’idées. Le duo décrit Everything Everywhere All At Once à la fois comme un drame familial, un film de science-fiction et un film philosophique. “Nous pourrions dire un million de choses à ce sujet, mais la chose la plus simple et la plus honnête, c’est que c’est l’histoire d’une mère qui apprend à faire attention à sa famille au milieu du chaos”, dit Kwan. Daniel Scheinert ajoute : “À bien des égards, le film n’est qu’un drame familial. Nous avons ensuite imaginé les métaphores et les hyperboles les plus folles, les plus énormes et les plus compliquées pour décrire les écarts entre les générations, ainsi que les erreurs de communication et les différences idéologiques au sein d’une famille”.

Si un film se déroulant dans le multivers semble a priori nécessiter un budget faramineux, les Daniels ont appris grâce à leur expérience dans les clips musicaux à donner vie à des univers ambitieux avec de faibles moyens. “La dynamique créative dans notre collaboration vient souvent du fait que je suis beaucoup trop ambitieux et que Scheinert fait très attention à ce que nous soyons efficaces”, dit Daniel Kwan. Il ajoute : “Cette dynamique nous oblige à dépenser l’argent là où il est vraiment nécessaire, et pour le reste, nous essayons d’écrémer et de faire des compromis.” Son comparse renchérit : “Dan a une esthétique maximaliste. Parfois, ses idées sont des sortes de phrases interminables. Mon travail consiste alors à l’encourager.”

Everything Everywhere All At Once déborde de références cinématographiques, de Ratatouille à In The Mood For Love en passant par 2001: L’Odyssée de l’espace. Cependant, Daniel Kwan insiste sur le fait que l'inspiration du duo vient plus de vidéos YouTube, des sketches de Tim and Eric et de l’anarchie formelle des films d’animation japonais que de leur cinéphilie.

Le personnage d’Evelyn a été conçu à l'origine comme souffrant d’un TDAH (Trouble du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité) non diagnostiqué. Elle est une mère agitée et débordée, qui fait un million de choses à la fois, sans jamais vraiment s’y consacrer pleinement. En faisant des recherches sur ce trouble et à l’issue d’un diagnostic donné après un an de thérapie, Daniel Kwan a découvert qu’il était lui-même atteint d’un TDAH : “C’est en grande partie ce qui rend Evelyn si unique et si vivante, le fait qu’elle ait ce trouble auquel je m’identifie et que j’ai ressenti pendant une grande partie de ma vie. Ce sentiment écrasant de vouloir faire tant de choses, mais de ne pouvoir en faire aucune.”

Le parcours d’Evelyn est notamment une allégorie de la vie d’une immigrée. Elle a fait le choix de quitter sa propre famille en Chine pour construire une nouvelle vie avec l’homme qu’elle aime. Les parents de Daniel Kwan sont eux-mêmes immigrés, comme il le raconte : “Quand vous voulez vous intégrer ici, vous n’avez pas le temps ou le luxe de penser à autre chose qu’à votre survie”. En découle un fossé générationnel avec sa fille, renforcé par Internet et ses bouleversements culturels majeurs et une incompréhension face à son homosexualité. “Jobu est une manifestation de cet étrange fossé entre les générations, et le multivers peut être une métaphore très amusante d’Internet. Nous avons grandi avec l’émergence d’Internet, et cela nous a totalement affectés et foutus en l’air. Maintenant, nous sommes comme nous sommes, et nos parents essaient de rattraper le temps perdu”, précise Kwan.

À l’origine, les réalisateurs souhaitaient avoir Jackie Chan en tête d’affiche mais la collaboration n’a pas pu aboutir. En redéfinissant leur projet, les Daniels ont eu l’idée de choisir une actrice qui lui avait donné la réplique à plusieurs reprises : Michelle Yeoh. Un choix qui a agi comme un déclic, selon Daniel Scheinert : “J’ai vraiment eu l’impression que le scénario a pris vie quand Michelle a été imaginée pour jouer le rôle principal de la mère. C’est devenu limite effrayant parce que nous ne pouvions pas imaginer quelqu’un d’autre à sa place si elle disait non. Heureusement que Michelle Yeoh n’était pas une personne horrible, parce que sinon il n’y aurait pas eu de film !”

Michelle Yeoh admet qu’on lui confie souvent des rôles sérieux, comme la matriarche impérieuse de Crazy Rich Asians. Sa propre assistante était très contrariée lors des premiers jours de tournage de Everything Everywhere All At Once. Daniel Kwan raconte : “Elle disait : « Vous ne pouvez pas la faire ressembler à ça. Ce n’est pas à ça que ressemble Michelle. Ne faites pas ça ! Enlevez-lui cette perruque de la tête, elle n’a pas de cheveux gris ! »” L’actrice a elle-même confié un soir à Kwan : “Je me demande à quoi aurait ressemblé ma carrière si j’avais fait ce film il y a longtemps”. Les Daniels lui ont offert une nouvelle façon de se voir à l’écran. “J’adore travailler avec des réalisateurs plus jeunes parce qu’ils ne vous voient pas de manière conventionnelle” dit Yeoh.

Le père d’Evelyn est campé par James Hong. Il s’agit de l’un des acteurs les plus prolifiques de tous les temps puisqu’il a joué dans environ 500 films et séries. Il est notamment connu pour son rôle du sorcier David Lo Pan dans Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin de John Carpenter.

Le rôle de Waymond, le mari d’Evelyn, marque le retour de Ke Huy Quan, qui interprétait enfant Demi-Lune dans Indiana Jones et le Temple Maudit et Data dans Les Goonies. Malgré sa participation à ces deux productions emblématiques des années 80, le comédien ne parvenait pas à trouver de rôle en tant que jeune acteur asiatique. Il a même fait une école de cinéma à l’USC et est resté en grande partie derrière la caméra. Il a collaboré avec Wong Kar-wai en tant qu’assistant réalisateur et chorégraphe sur 2046, mais il a finalement quitté Hollywood pendant des décennies. C’est après le visionnage de Crazy Rich Asians (avec sa future partenaire à l’écran, Michelle Yeoh) qu’il a envisagé son retour dans le milieu, se disant que les choses avaient évolué à Hollywood. Une semaine après avoir pris un agent, il a reçu un coup de fil lui proposant une audition pour Everything Everywhere All At Once. Il s’est avéré que, par hasard, Daniel Kwan était tombé sur une référence à Quan sur Internet, et s’était demandé ce qu’il était devenu depuis tout ce temps. C’est Jeff Cohen, devenu avocat après avoir joué Choco dans Les Goonies, qui s’est occupé du contrat de Quan pour le film !

Le film offre à Stephanie Hsu son premier grand rôle, avec le personnage de Joy, la fille d’Evelyn. Les Daniels l’ont rencontrée alors qu’ils réalisaient un épisode de Awkwafina is Nora From Queens. “Nous avons retravaillé son personnage en nous basant sur son sens de l’humour et sa bizarrerie. C’est une chance pour un cinéaste de pouvoir écrire un rôle en s’inspirant de l’actrice qui l’interprétera. Sa personnalité nous a ouvert tellement de possibilités, et je pense qu’elle a un avenir très prometteur”.