Parler de Francis Ford Coppola sans aborder Apocalypse Now, sa pièce maîtresse aux côtés de la trilogie du Parrain, impossible : car outre le mythe du tournage apocalyptique (jeu de mot incontournable), cette adaptation libre du roman Au Cœur des ténèbres fait bel et bien figure de référence cinématographique ultime de la Guerre du Vietnam ; un classique indéniable donc, mais qu'en est-il vraiment ? Impossible pour ma part de pas citer l'homme portant à lui seul ce récit ô combien long et tortueux : Martin Sheen. Quel prestance ! Celui-ci m'aura pour le coup impressionné en bonne et due forme, au travers d'un jeu irréprochable, d'un regard transperçant et d'une narration captivante à souhait (bien qu'il s'agisse sur ce point de son frère, Joe Estevez) ; contrairement à ce que l'on pourrait croire, la tête d'affiche n'est donc pas tenue par Marlon Brando (j'y reviendrai) mais bien par Sheen, grandement crédible dans le rôle du capitaine Willard, figure principale aussi atypique qu'attachante, et qui annonce la couleur au travers d'une introduction foutrement étrange, intimiste même... le ton est donné. Car la particularité de Apocalypse Now, c'est assurément de transcender son statut de simple film de guerre en nous proposant un périple à la fois réaliste et humain : en résumé, le long-métrage arbore une forme spectaculaire pour l'époque (immersion assurée) et une intrigue de fond suspendue au lent monologue existentiel de Willard, peu avare en réflexions d'ordre métaphysique et autres bizarreries. Pour en revenir au côté visuel de l'œuvre, on songe naturellement au grandiose palpable se dégageant de la Chevauchée des Walkyries, mais ce n'est pas tout : Apocalypse Now brille d'une photographie, de jeux de lumières et par extension d'une ambiance proprement grisants, et ceci n'est rien de moins qu'une des raisons majeures ayant conduit à son fabuleux succès critique. Bref, sans détailler la multitudes de décors et paysages superbes, ce film n'est rien de moins que somptueux dans la forme, et il faut bien reconnaître que le mystère autour du personnage de Walter E. Kurtz intrigue au plus haut point : avec cet objectif en ligne de mire, Apocalypse Now attise à petit feu notre intérêt, et le parcours mouvementé de Willard ne manque pas de fournir son lot de péripéties divertissantes, tout en dressant de fil en aiguille le tableau d'une guerre véridiquement absurde (au même titre que certains personnages, Kilgore en somme). Toutefois, on regrette quelque peu que le long-métrage s'enlise dans cette lente remontée du fleuve, criblées de longueurs sauvées par la qualité d'interprétations d'un casting décidément pas en reste ; et puis que dire de l'atmosphère tendue à souhait, hypnotique même, malheureusement desservi par un mysticisme ambiant allant croissant... jusqu'au tant attendu final, qui en marque l'apogée. La rencontre entre Willard et Kurtz, il va sans dire que l'on en attendait beaucoup, et celle-ci se sera fait désirer : en effet, le colonel renégat n’apparaît que très peu, et s'impose finalement à nous davantage au travers du dossier détenu par Willard, véritable support au discours tenu par ce dernier tout au long du film. On voit donc très peu Marlon Brando, qui se fend d'ailleurs d'un jeu franchement pas à la hauteur de nos espérances, et que dire de son personnage, par lequel Francis Ford Coppola délivre un message vaseux prétexte à une conclusion tirée par les cheveux ; une sacrée déception en somme, notamment au regard de la qualité intrinsèque du long-métrage, qui reste dans son ensemble très réussi. Pour résumé, Apocalypse Now n'aura pas usurpé son statut de chef d'œuvre du genre, fort d'une réalisation techniquement renversante et d'une empreinte visuelle somptueuse, le tout au service d'une trame dressant un portrait réaliste mais aussi intimiste de la Guerre du Vietnam ; chapeau beau une fois encore à Martin Sheen, tandis que Marlon Brando / Kurtz et le dénouement laissent dubitatifs... dommage !