Trois après avec le phénomène ‘’Your Name’’, le désormais très attendu Makoto Shinkai revient avec ‘’Les enfants du temps’’ (ou plutôt ‘’L’enfant du temps’’ qui est la traduction exacte du titre original). Si le succès est au rendez-vous (plus de 9 millions d’entrée au Japon), plusieurs critiques ont reproché à ce film d’être trop proche de ‘’Your Name’’. En plus d’être un argument qui peut être émis envers ‘’Your Name’’ (tous les films de Shinkai sont très proches les uns des autres), ce reproche n’est de toute façon pas réel tant les divergences entre les deux films sont de tailles. De plus, ‘’Les enfants du temps’’ frappe bien plus par son message que ‘’Your Name’’.
Hodaka est un adolescent qui a fugué de chez lui. Il se rend à Tokyo pour décrocher un boulot. Tandis que la ville est frappée par de violentes pluies et orages, Hodaka croise la route d’Hina. Il va se rendre compte qu’Hina est une une prêtresse du temps, capable de chasser le soleil pour faire surgir le soleil et le ciel bleu.
Il y a toujours chez Makoto Shinkai une bonne dose de ‘’kawai’’ dans ses films. La première chose qui frappe l’oeil du spectateur qui regarderait un des films du réalisateur, c’est son goût pour la joliesse et les bons sentiments. Ce n’est pas forcément péjoratif mais Shinkai aime enrubanner ses films, que se soit formellement ou thématiquement. ‘’Les enfants du temps’’ ne semble pas échapper à la règle. On peut aborder le plus évident : l’esthétique. C’est simple : le film est beau. Il est magnifique même. L’animation chez Makoto Shinkai parvient à concilier hyperréalisme et féerie. Ce qui saute aux yeux et parvient à nous faire rentrer dans l’univers de son auteur, c’est bien l’extrême précision apportée aux décors. Le rendu graphique de Tokyo est parfait et fourmille de petits détails. A ceci s’ajoute les effets de lumière qui sont particulièrement réussis (rien que la séquence d’ouverture avec cette flaque de soleil). Mais cela n’empêche pas Shinkai de faire émerger petit à petit le fantastique dans le quotidien. Chez Shinkai, le voyage fantastique peut se réaliser dans de petits espaces : le moindre coin d’un décor est potentiellement porteur de magie. Ici, la frontière entre le monde de la Terre et le monde du Ciel se fait simplement en haut d’un immeuble. En ce sens, Makoto Shinkai est à la fois le réalisateur de l’infiniment petit (dans sa façon de se concentrer sur de petits éléments et son souci du décor) et de l’infiniment grand (comme nous allons le voir). Et bien sûr, le metteur en scène est aussi le metteur en scène des bons sentiments, celui qui frôle constamment avec le mièvre. Il faut s’attendre à voir dans son cinéma de grandes scènes mélodramatiques, des sanglots et de la musique parfois bien gélatineuse (Joe Hisaichi et son élégance n’ont pas trouvé de digne successeur pour ce qui est de la musique des films d’animation japonais). Makoto Shinkai n’a pas peur de tomber parfois dans le ridicule : tout est bon pour susciter l’émotion chez le spectateur. Ainsi, comme son précédent (en fait, comme tous ses films), il y a une romance. Mais là où ‘’You Name’’ présentait une histoire d’amour entre deux êtres qui ne se rencontraient jamais, Hodaka et Hina se rencontrent assez vite dans le film. La romance ne présente donc pas les mêmes enjeux. En revanche, le point commun est de présenter une romance qui sera mise à mal par la séparation des deux amoureux. Shinkai est le réalisateur des distances, il aime explorer ce qui sépare deux amoureux : un obstacle, une longue distance… ‘’Les enfants du temps’’ n’échappe pas du à la règle : leur relation, si elle va rencontrer des difficultés, est évidente et parfaitement unilatéral (love story très forte entre deux jeunes adolescents).
Mais au sein de la filmographie de Makoto Shinkai, ‘’Les enfants du temps’’ renouvelle totalement les enjeux qui entourent l’amour entre les deux protagonistes principaux. On est loin de ‘’Your Name’’ où Taki et Mitsuha sauvaient la population d’un village d’une météorite et finissaient par se retrouver. Non, ‘’les enfants du temps’’ est un film trompeur. Comme dans ‘’Your Name’’ on est certes dans un film catastrophe. Dans ‘’Your Name’’, une météorite rasait le village de Mitsuha. Et dans ‘’Les enfants du temps’’, Tokyo est menacé d’être englouti sous les eaux diluviennes. Mais, d’un film à l’autre, les schémas sont inversés. Dans ‘’Your Name’’, on suivait la catastrophe, laquelle avait des conséquences sur l’amour qui unissait Taki et Mitsuha. Comme en réponse au film précédent, ‘’Les enfants du temps’’ pose une situation inverse : on suit l’amour entre Hodaka et Hina et ses conséquences sur la catastrophe (les deux héros sont davantage maîtres de leur destin que ne l’étaient les héros de ‘’Your Name’’). La pluie ne cesse de tomber sans raison apparente (et oui, on est devant du cinéma, pas devant un tract politique pour nous dire que polluer, c’est mal). De graves inondations ont lieu. Hodaka rencontre Hina, qui a donc le pouvoir de stopper cette pluie incessante et de ramener le soleil.
Mais cela a un prix : la vie d’Hina. En effet, pour que le temps puisse se stabiliser, Hina doit se sacrifier pour rétablir le beau temps. Sans quoi, le monde sera mis en péril face à la montée des eaux
. Le propos du film est gonflé. Shinkai choisit de privilégier l’émotion au discours, l’affect à la raison. Il va à l’encontre d’une mouvance de films d’animation moralisateurs qui sont monnaies courantes. Shinkai ne traite pas du risque climatique et ne cherche pas à nous faire culpabiliser en se complaisant à montrer les risques à venir. Pour lui, tout ceci est acté depuis bien longtemps. Le réalisateur se projette plus loin. Le réalisateur évite avec sagesse de nous faire la leçon (l’absence de discours moralisateur nous permet de savourer pleinement l’émotion suscité par le film). Il faut s’arrêter un moment sur la fin du film, pleine de signification.
Hodaka sauve Hina et refuse le sacrifice de cette dernière. Les deux adolescents décident donc de vivre leur amour, au dépens de Tokyo qui se retrouve noyée sous les eaux
. On voit une nouvelle fois que ‘’Les enfants du temps’’ est l’exact opposé de ‘’Your Name’’. Ce dernier montrait une mission sauvetage au contraire des ‘’Enfants du temps’’. On voit alors l’habilité de Shinkai qui réside dans sa capacité à nous duper en jouant sur les attentes générées par ‘’Your Name’’. On croyait avoir un nouveau film ou deux adolescents allaient tomber amoureux et sauver la population de la catastrophe ?
Et bien c’est ce qu’on aura, seulement à moitié (Hodaka accepte la folie du monde et accepte la catastrophe annoncée)
. ‘’Les enfants du temps’’ vient donc parfaitement raisonner et se poser comme superbe contre-pied à ‘’Your Name’’. La phrase ‘’
je préfère t’avoir toi que d’avoir un ciel bleu
’’ sortie de son contexte, peut paraître sirupeuse ; elle cache en vérité un message qui glace le sang. Dans un monde dégénéré où les générations semblent désormais déconnectées les unes des autres et incapables de communiquer entre elles (comme si les nouvelles technologies, sensées réduire les distances, les avaient au contraire élargies), mieux vaut la poursuite du bonheur individuel plutôt que collectif. Makoto Shinkai n’est pas naïf : il sait que le bonheur collectif est une chimère. Ainsi, il est souvent plus pertinent de s’émouvoir du bonheur de deux personnes que du monde entier. Surtout quand ce monde entier est odieux envers nos jeunes héros. Toutefois, il serait erroné de voir dans ce film une quelconque forme de cynisme. Au contraire, Shinkai montre que l’optimisme peut se retrouver dans toutes les situations, mêmes les plus terribles. A ceci s’ajoute une dimension plus spirituelle (qui doit raisonner bien plus fort au Japon et en Asie qu’en Occident). N’est-ce pas vanité de la part de l’homme de croire qu’il a un rôle à jouer dans la régulation de la nature ? Les conséquences de ses actes sont-elles si importantes ? A l’instar d’un Terrence Malick, ou encore d’un Miyazaki dans ‘’Princesse Mononoké’’, Makoto Shinkai assimile la nature à un Dieu, capable de se réguler d’elle-même. Un Dieu qui intervient de manière cyclique à travers les époques pour bouleverser le monde.
La catastrophe qui frappe Tokyo est moins le fruit des hommes que celui d’une divinité voulant recréer un monde en perdition depuis longtemps
. Dès lors, cette ‘’fatalité joyeuse’’ qui traverse le film trouve sa pleine et entière justification :
la nature finira toujours par reprendre ses droits et nul intervention de l’homme ne saura l’en empêcher. Ce qui bouleversera et marquera durablement le spectateur à la vision des ‘’Enfants du temps’’, c’est bien cette évocation de la fin du monde, placé sous le signe d’une romance
.
On traverse une époque où hélas, certains films privilégient trop l’avertissement politique et écologique au détriment du cinéma et de l’émotion. ‘’Les enfants du temps’’ évitent cela en reléguant au second plan la dimension catastrophe. Shinkai en considérant la Nature comme un Dieu préfère s’intéresser aux humains et à leurs interactions. Dans ce film là, il rappelle que le bonheur individuel est parfois plus important que le bonheur des sociétés à travers un film dont le kawai ne saurait dissimuler cet amère constat.