"Honeyland", le pays du miel ne correspond pas vraiment à la réalité des habitants de ce pays déserté, et magnifique. Je pensais naïvement voir une documentaire sur une apicultrice travaillant à l'ancienne, riche en belles images léchées, . C'est bien sûr un peu cela, mais c'est beaucoup plus aussi. Ce film réalisé à partir de 400 heures de rushes, nous met en immersion non pas dans une vallée biblique où coule le miel,, mais dans la vie même de deux femmes jouant leur propre rôle. De la fille veillant sur sa très vieille mère alitée, dans cette pauvre masure, nous saurons peu à peu ce qui a déterminé leur existence, le refus ou l'impossibilité de partir. Ce sont les dernières habitantes d'un village fait de ruines, semblable à un vieux romand de Jena Giono, accroché à la montagne de Macédoine du nord, non loin de Skopje. L'équipe de tournage a fait ce film en immersion, sur trois années, dans des conditions difficiles pour les techniciens. L'économie de subsistance, la misère, l'âpreté de la vie, fait davantage pensé à la réalité des pays émergents, que celle de l'Europe de l'ouest....La modernité est représentée de façon métaphorique par de temps à autre un avion à réaction passant dans le ciel. Je me souviens que Kessel avait déjà utilisé cette image dans ce beau roman que fut " les cavaliers", se passant en Afghanistan, dans un univers hors du temps. Mis à part quelques camions branlants et une caravane brinquebalante, apportée par de nouveaux arrivants, cette famille d'éleveurs pauvres, et riches en enfants, semblant sortir d'un film du néo réalisme italien des années 50, ou d'une production de Kusturica c'est le même sentiment d'étrangeté...Quatre ou cinq gamins livrés à eux mêmes, devant s'occuper de vêler les vaches, de les parquer, vont être pour l'apicultrice solitaire un vrai courant d'air frais. Une amitié singulière va se forger entre elle et un garçon, se passionnant pour le miel, va donner le prétexte à une des meilleurs moments du film s'appuyant sur la transmission d'un savoir qui se perd. Mais l'on sait déjà intuitivement que la rencontre va virer au cauchemar entre cette femme généreuse, mais tenant à son quant à soir, et cette famille d'opportunistes. Quoique ce mot n'a pas sa place dans la réalité de la misère sociale, et éducative des gens qu'elle broie. Tout jugement ici est impossible. Nous sommes de l'autre coté, celui de la protection, et de l'argent, d'un monde de sécurité qui est ignoré la bas, et où il faut se durcir pour vivre.
On ne peut qu'être épaté et admiratif devant une telle production cinématographique. A la fois documentaire animalier, et anthropologique, et fiction (relative) , ce film nous ramène aux plus grands films de Güney , le réalisateur Turc du " troupeau", et à ceux d'un autre maitre Indien, Satyajit Ray, qui réalisa " le salon de musique", et bien des films montrant la réalité des communautés indiennes. Ces deux metteurs en scène prestigieux avaient aussi pour habitude de travailler aussi avec les gens du cru. L'authenticité tient certainement à un travail de dentellière, de patience, en gagnant la confiance des gens qu'on filme, jusqu'au moment où ils vous oublient. En tout cas voilà un film que je ne suis pas prêt d'oublier.