Il n’y a pas de guerre juste ni de guerre propre, cela n’existe pas, mais, parmi toutes les guerres, certaines sont si sales, si déshonorantes, qu’on a tendance à les occulter. Il en est ainsi de la guerre d’Algérie, un conflit qui n’a fait l’objet, jusqu’ici, que d’un nombre limité de films. Peut-être parce que les traumatismes qu’il a engendrés sont encore trop vifs. Peut-être parce qu’on ne sait pas comment filmer une guerre aussi sordide, aussi malpropre, que ce soit du côté de l’armée française ou du côté des fellaghas.
Pour son premier film en tant que réalisateur, Abdel Raouf Dafri, né à Marseille en 1964 de parents algériens, ose aborder ce sujet et le fait sans détours. Le ton est donné dès la première scène, terrible, où l’on voit trois hommes entièrement nus « questionnés » avec fourberie et violence par des militaires français. Toutes les duplicités et toutes les brutalités sont de mise dans cette sale guerre qui n’ose pas dire son nom.
Pour la montrer telle qu’elle est, le réalisateur met en scène un militaire français qui s’est déjà battu au Vietnam, le lieutenant-colonel Breitner (Johan Heldenbergh). De cet autre conflit qui, lui aussi, était un « merdier », il est revenu abimé psychologiquement, mais avec une compagne vietnamienne (Linh-Dan Pham) qui ne le quitte plus. Deux autres têtes brûlées l’accompagnent dans la mission qui lui est à présent confiée au cœur des montagnes algériennes, alors même que l’armée française se retire : deux hommes condamnés qui n’échappent à leur exécution qu’à ce prix, un soldat au visage tatoué qui ne songe qu’à liquider des « basanés » et un soldat noir dont le père fit partie des tirailleurs sénégalais.
Leur incursion en pleine zone rebelle ne manque pas de péripéties, mais surtout elle occasionne une rencontre inattendue avec un colonel français décidé à rester coûte que coûte en Algérie et qui, de ce fait, a rejoint les rangs des fellaghas. Joué par le toujours excellent Olivier Gourmet, ce personnage n’est pas sans faire songer à celui qu’incarnait Marlon Brando dans Apocalypse Now (1979).
Le film montre aussi, de façon saisissante, que tout le monde est impliqué, d’une manière ou d’une autre, dans cette guerre, pas seulement les hommes en armes, mais aussi les civils, y compris les enfants. Le réalisateur ne se permet aucun compromis à propos du conflit, il le montre tel qu’il est, dans toute son horreur : il montre des enfants pris dans ce piège, des hommes qu’on abat, une femme qu’on torture…
Que reste-t-il de l’humain, au sens noble, dans tout ça ? Il reste quand même quelque chose qui se résume en un mot, surprenant, déroutant, presque incongru dans un tel contexte, le mot « miséricorde ». Aussi paradoxal soit-il, ce mot est bel et bel prononcé, invoqué, à deux reprises, à l’occasion de deux scènes. Non seulement il est exprimé verbalement mais, la deuxième fois, ce qu’il signifie a une influence sur le comportement des personnages, sur ce qu’ils décident de faire. Certes, il ne peut, à lui tout seul, rendre propre la sale guerre, mais, ne serait-ce qu’un instant, il donne à entrevoir autre chose que rancune, haine et violence. Ce n’est pas négligeable.