On le sait depuis fort longtemps : lorsque les effets visuels n’ont plus de limites, la question n’est plus de tenter d’en mettre plein la vue. La tristesse de plus en plus patente de la majorité des blockbusters, diarrhées pixelisées sans âme, en atteste. Et alors que déboulent les IA génératrices d’une combinatoire infinie de palettes les plus éclectiques, le créateur se retrouve dans une euphorie qui peut rapidement confiner à la panique.
Le premier volet du Spider-Verse avait déjà été un coup de pied salvateur à la franchise « officielle » exploitée par Marvel, dans laquelle une endive et une bimbo cabriolent devant des fonds verts. La suite, 5 ans plus tard, n’échappe évidemment pas aux lois de l’industrie, pour un film plus long, plus ambitieux, et bien décidé à repousser les limites d’un imaginaire débridé.
La question des multivers est elle aussi la rustine idéale à toute impasse scénaristique : puisqu’on abolit l’espace, le temps et qu’on peut ouvrir la lucarne vers un univers parallèle, tout est envisageable, modulable et réparable, au risque évident d’édulcorer toute implication du spectateur, pour qui les enjeux seront toujours temporaires.
La suite des aventures de Miles Morales se retrouve donc au carrefour de tous ces flux à super haut débit, avec pour mission de parvenir à les contenir, les canaliser tout en éclaboussant avec panache. Le film ne va certes pas entièrement révolutionner son cahier des charges, puisqu’on retrouvera la traditionnelle question de l’identité, du rapport de l’adolescent à ses parents, son origines sociales ou l’inévitable expérience du deuil pour pouvoir grandir – ce qui peut donner lieu à certains échanges redondants, et traînant en longueur.
Sa réussite tient avant tout à sa direction artistique : dès le(s) départ(s), l’immense variété des univers met en place un univers profus et mouvant, où la réunion de tous les talents (et de toutes les IA ?) donne le vertige : à la fluidité attendue des scènes d’action s’ajoute ainsi une inventivité de chaque instant, où l’on aurait ajouté aux composantes de la scène d’action (explosion, course poursuite, haute voltige, etc.) une charte graphique. Ainsi d’une créature échappée des croquis de Leonard De Vinci mettant à sac le musée Guggenheim, d’un Spider Punk aux couleurs des papiers déchirés de la fin des 70’s ou d’une variante en mode Bollywood. Toute la proposition consiste à ouvrir les espaces, creuser les mouvements, surligner les élans, en abolissant le « réalisme » propre aux films en live action : l’arrière-plan devient un tableau mouvant, un work in progress assez fascinant où les visages se modifient, les décors (surtout dans l’univers de Gwen) prennent en charge les émotions torturées des personnages, et la stabilité du réel semble doucement s’effondrer.
Car c’est là l’une des grandes réussites du film que de savoir encore générer de l’émotion. Si le scénario sait ménager de jolis retournements et élargir avec jubilation les déclinaisons du héros originel - toute la partie dans le QG s’en donne à cœur joie, avec un humour assez lucide sur le délire sans fin à la disposition des scénaristes - l’histoire d’amour contrariée entre les deux ados se réserve l’une des plus belles séquences. Le jeu de séduction se greffe à la voltige dans une ville qui devient le terrain d’une conquête timide, et le trouble des protagonistes s’exprime par l’abolition des lois de la gravité, dans une superbe exploration d’une tour surplombant la skyline. C’est à la faveur de ce type de séquence que l’espoir subsiste, et que l’on est encore en droit d’attendre quelque chose du blockbuster : quand la fusion des textures, des polygones, des algorithmes et des cinématiques sert encore un élan issue des tréfonds de l’humanité la plus ancestrale, et qu’on nomme la poésie.