Le réalisateur français Patrick Imbert propose avec « Le Sommet des Dieux » l’adaptation du manga éponyme, sous forme de film d’animation. Et voilà un long métrage de 90 minutes qui nous plonge immédiatement dans le monde très particulier et très fermé de l’alpinisme de très haute montagne. Sur la forme, on peut dire que le film est très soigné, très réussi : le dessin est très beau et les séquences en montagne sont aussi belles et spectaculaires qu’on pouvait l’espérer. Le film dure 1h30, il est accompagné d’une musique bien choisie et efficace et on remarque vite le soin particulier apporté au son. Spécialement dans les scènes d’escalades, qui sont évidemment légions dans le film, le son est très travaillé : le vent, la montagne qui craque, les avalanches et les chutes de pierres, les piolets qui s’enfoncent dans la roche, tout sonne fort et clair aux oreilles des spectateurs. Donc le film est beau à l’œil et beau à l’oreille. Les personnages parlent en français (c’est un film français donc pas de sous-titre) et ce ne sont pas des acteurs connus qui sont au casting voix, mais probablement des habitués du doublage : Lazare Herson-Macarel et Eric Herson-macarel pour ne parler que des deux personnages principaux. Ca ne vous dit rien ? Moi non plus mais je trouve leur travail très propre. On peut discuter longtemps su parti-pris qui a été choisi, celui de ne pas faire parler japonais des personnages japonais. Personnellement ça ne m’aurais pas posé un problème mais ce n’est pas le choix de Patrick Ibert, dont acte…Les personnages ont-ils crédibles, les scènes d’escalade aussi, les faits sont-ils avérés ou pure invention ? Je ne sais pas mais au fond, ce n’est pas le plus important. Le scénario oscille, dans la première moitié du film entre deux époques. Il y a le présent, où Fukamachi cherche l’alpiniste disparu, et le passé récent, qui raconte la jeunesse de Habu Jôji et surtout les raisons qui lui ont fait tout abandonner subitement. Cette partie là est bien sur la plus intéressante : elle met en scène un personnage pétri de qualité (courage, audace, détermination, rigueur) mais aussi de terribles défauts (égoïsme, orgueil, individualisme). Ce qui pousse Habu Jôji à aller toujours plus haut, toujours plus seul, toujours plus vite est difficilement compréhensible pour le néophyte. Patrick Imbert tente de nous faire mettre le doigt dessus, avec une certaine réussite je dois dire : dépassement de soi, amour de l’effort, de la montagne, envie de tromper la mort aussi. Le parcourt de Habu Jôji est parsemée de drames
(dont le premier, absolument terrible et malheureusement très prévisible pour le spectateur) et d’accident (le passage dans les Alpes, sur les Grandes Jorasses, est particulièrement réussi)
. Et puis, dans sa dernière moitié les deux personnages se rencontrent enfin pour une dernière partie épique sur les pentes de l’Everest. Le sommet du monde est presque un personnage à part entière, le cercueil des alpinistes Mallory et Irvine, de dizaines d’alpinistes après eux, et peut-être le leur aussi. On croit que le suspens réside de savoir ce qu’il y a sur la pellicule, de savoir si les deux britanniques sont parvenus au sommet en 1924, 25 ans avant la date officielle (1953). Mais en réalité, cet appareil photo est un leurre : l’intérêt du film n’est pas du tout là. L’intérêt du film, son sujet au fond, c’est de tenter de comprendre ce qui pousse ces hommes et ces femmes (encore que là elles sont singulièrement absente du propos) à grimper toujours plus haut, toujours par les voies les plus difficiles, en été ou en hiver, avec ou sans oxygène, en solo ou en groupe. Le personnage de Habu Jôji est emblématique de ces gens qui regardent toujours là haut, qui escaladent comme si leur vie en dépendait. C’est d‘ailleurs ce que Patrick Imbert dessine dans son long-métrage : leur vie en dépend, rien d’autre ne compte. Ce petit monde de la très haute montagne se connait, se côtoie, ils sont rivaux et compagnons de souffrance en même temps, parfois se détestent mais se sauvent la vie, parfois s’aiment mais se sacrifient. Tout le reste, au niveau du sol, n’existe que pour grimper. Au travers du personnage de Habu Jôji, c’est le monde de la très haute montagne qui est mis en valeur par « Le Sommet des Dieux ». Le film rend hommage à leurs exploits anonymes, à leur obsession et leur souffrance : escalader non pas pour la gloire ou pour l’Histoire, mais pour l’amour du geste, presque un art. A leur image, le film de Patrick Imbert est une belle réussite, aussi beau que passionnant, aussi enchanteur que terrifiant.