Dès le lendemain du sinistre qui a ravagé Notre-Dame de Paris, ont surgi des débats concernant les choix de reconstruction du prestigieux édifice. Qu’est-ce qui est préférable ? Refaire la cathédrale à l’identique, telle qu’elle était avant l’incendie ? Ou, au contraire, inventer quelque chose de nouveau, de moderne, d’inédit ? Pour ma part, je préfère, et de loin, cette deuxième option, quitte à provoquer les protestations indignées de ceux qui veulent que rien ne bouge. C’est s’opposer à la vie que de prôner l’immuabilité. Tous les édifices, religieux ou non, subissent des transformations au fil du temps. Et pourquoi ne pas oser quelque chose de résolument moderne plutôt que de chercher à copier ce qu’on a édifié dans le passé ?
Bien que le film de Valérie Donzelli ait été réalisé avant l’incendie ravageur, il aborde, de façon prémonitoire, des questions du même ordre. Certes, il ne s’agit pas ici de la cathédrale elle-même, mais de son parvis, ce qui n’est cependant pas anodin, la réalisatrice se plaît à le signifier de manière plutôt cocasse. Elle-même joue le premier rôle du film, celui d’une employée d’un cabinet d’architecture portant le joli nom de Maud Crayon ! Mère de deux enfants, séparée en théorie de Martial (Thomas Scimeca), le père de ces derniers, en théorie parce qu’en pratique celui-ci, en homme infantile qu’il est, s’invite encore volontiers chez elle, elle mène une vie à cent à l’heure, arrivant en retard à son travail où elle se fait sermonner par son patron (Samir Guesmi).
Or, grâce un étrange et facétieux événement, totalement burlesque, un projet de parc de loisirs qu’elle avait conçu se retrouve à la mairie de Paris où il gagne le concours de réaménagement du parvis de Notre-Dame. La maire de la capitale (Isabelle Candelier) ainsi que son premier adjoint (Philippe Katerine) ont été irrésistiblement séduits. Ce n’est d’ailleurs que la première des trois surprises survenant presque simultanément dans la vie de Maud Crayon : elle apprend, dans le même temps, qu’elle est enceinte tandis qu’apparaît un journaliste du nom improbable de Bacchus Renard (Pierre Deladonchamps), chargé de couvrir pour son journal le projet de réaménagement du parvis de Notre-Dame, et qui n’est autre que son amour de jeunesse !
Voilà de bons ingrédients pour mener à bien une comédie. Tout y est irrésistible, tout y est savoureux. Le film réserve toutes sortes d’excellentes idées de mise en scène, il pétille d’inventivité et de drôlerie. Une séquence particulièrement délectable parodie les films muets avec leurs intertitres, une scène de la fin du film prend des allures de comédie musicale, et ainsi de suite. Les personnages, tous parfaitement campés, rivalisent de bouffonnerie. L’humour est roi, la comédie est loufoque, ce qui n’empêche nullement la prise en compte des réalités de notre temps, y compris les plus douloureuses ou les plus inquiétantes. Le Paris qui nous est montré n’a rien d’idyllique : on y voit des migrants dormir sur les trottoirs, on assiste à une tempête due au réchauffement climatique, des passants se livrent à des violences gratuites.
On croit même, lors d’une séquence, avoir affaire à une attaque chimique…
Quant au projet de Maud Crayon, le moins qu’on puisse dire est qu’il fait grand bruit, son impertinence ou son irrespect provoquant la mobilisation de catholiques ayant la conviction d’être outragés !
Rien n’interdit, cependant, d’apprécier l’audace de la nouveauté plutôt que de rejoindre les grincheux qui n’aiment que ce qui est figé. Dans une interview, Valérie Donzelli s’exprime, elle aussi, au sujet de la reconstruction de la flèche de Notre-Dame : « Quand les premières propositions architecturales arriveront, dit-elle très justement, il y a fort à parier que des voix s’élèveront pour déplorer que l’art moderne défigure le patrimoine. Ça a été le cas de la Tour Eiffel, de la Pyramide du Louvre, de l’Opéra Bastille ou des colonnes de Buren. »