Avant même de rentrer en salles, je me voyais dire dans cet avis que « "Petit pays" est un grand film ». Bien que j’aurai aimé amener une telle affirmation, je dois me résoudre à affirmer que ce n’est pas tout à fait le cas. Ce n’est pas que le film ne soit pas bon, au contraire ! Simplement au vu de ce cette histoire qui nous est racontée ici, j’attendais plus de force dans le récit. En effet, j’aurai vu davantage de puissance émotionnelle, plus de matière visant à choquer le spectateur, quelque chose à la limite du supportable, voire pourquoi pas de carrément insupportable. Et pourtant… Oui, et pourtant il y a bien un avertissement adressé au jeune public par rapport à un petit nombre de scènes pouvant heurter leur sensibilité. C’est vrai, il y en a quelques-unes, même si la plupart d’entre elles sont plus dans la suggestion des violences perpétrées au cours de cet épouvantable épisode de génocide. Cependant je dois reconnaître un fort pouvoir d’informations relatives au sujet. Bien sûr, on a tous entendu parler de ces pires exactions dont l’être humain est malheureusement capable ayant eu lieu au Rwanda jusqu’en dehors de ses frontières. Nous avons tous été choqués par certaines images, encore que les médias se sont montrés relativement light sur ces fameuses images. Et en plus il faut être honnête, entendre parler de choses qui se passent loin de chez nous nous touchent beaucoup moins que si ça se passait à l’intérieur même de notre pays, sans même parler des événements qui se passent sur notre pas de porte. Je n’émettrai pas d’avis sur la qualité d’adaptation du roman autobiographique de Gaël Faye, tout simplement parce que je ne fais pas partie du million de lecteurs. Aussi je serai incapable de dire si les scénaristes (Eric Barbier, également réalisateur, et Jean-Paul Rouve) ont pris le choix d’occulter les scènes d’une grande violence. Il n’y a guère qu’eux qui sauraient nous le dire sans oublier l’écrivain bien entendu puisque lui-même a assisté en partie au tournage, ou ceux qui ont eu le courage de lire ce livre. Dans tous les cas, "Petit pays" s’attarde sur une famille prise malgré elle dans la tourmente. On vit donc cette période à la fois de l’intérieur et de l’extérieur. Je m’explique : bien que le spectateur se voit embarqué dans l’intimité de cette famille constituée d’une rwandaise et d’un français avec leurs deux enfants (ça c’est pour le côté intérieur), on ne fait qu’entendre la plupart du temps les coups de feu (ça c’est pour le côté extérieur). Autrement dit, le spectateur est mis au même niveau que les personnages principaux. Ce qui nous permet par ailleurs de constater en même temps qu’eux les inquiétantes conséquences de cette folie humaine, jusque dans ses moments les plus tragiques. L’avantage de ce point de vue réside en le fait que cela permet au spectateur de mieux mesurer l’ampleur du désastre, un désastre qui se dessinait déjà dans les plus hautes sphères politiques, encore que le film ne s’attarde pas vraiment sur les faits de guerre civile mais plutôt sur ce qu’elle engendre : les cadavres parsemés ici et là, la pression subie de plus en plus constante, la peur qui s’ancre de plus en plus profondément dans les tripes de la population pour ne plus la lâcher et envahir son âme jusqu’à, pour certains, en faire perdre la raison. De ce point de vue-là, le ressenti de tous ces sentiments est très bien rendu. Et s’il est bien rendu, c’est parce que l’interprétation des acteurs est remarquable. Même au sein des apprentis comédiens qui pour la plupart d’entre eux n’avaient encore jamais tourné un film. Bien sûr, on retiendra la prestation de Jean-Paul Rouve qui parvient vraiment à beaucoup mieux exprimer ses talents dans ce registre que dans des rôles de comédie parfois contestables (pour ne pas dire ridicules) au niveau artistique. Mais on retiendra surtout la prestation d’Isabelle Kabano dans la peau de cette rwandaise exilée au Burundi, auréolée de cette scène du contrôle de papiers au cours duquel tout peut basculer grâce à la mise en place d’une tension plus que palpable. On retiendra aussi la prestation de Djibril Vancoppenolle, lui qui a la lourde tâche d’occuper le plus souvent le devant de la scène, mais aussi celle de Dayla de Medina car c’est bien elle qui m’a fait le plus craquer tant son personnage Ana est mignon tout plein.
Je parlais de moments de tension. Oui, il y en a, et la musique lancinante de Renaud Barbier y est pour beaucoup aussi. Seulement des fois, c’est un coup d’épée dans l’eau. Par ces artifices de mise en scène doublée de musique, on laisse présager au spectateur qu’il va se passer quelque chose de grave, de choquant... et puis rien. C’est dommage, mais est-ce une façon de jouer avec les nerfs du spectateur et de mieux le surprendre plus tard ? Sans doute que oui, et j’aurai qualifié cette façon de faire comme une immense qualité si j’étais sorti de la salle choqué, estomaqué. Donc oui, au vu du sujet (bien que n’ayant pas vu la bande-annonce ni lu le synopsis comme à mon habitude avant de me rendre en salle), je m’attendais à quelque chose de plus poignant, de plus scandaleux, à quelque chose qui réveille en vous le sentiment de révolte. Un peu comme l’avaient fait, pour en citer deux, le retentissant "Mississippi burning", ou plus récemment "Va, vis et deviens", du moins dans sa première demi-heure. Après le film n’en reste pas moins intéressant pour les raisons évoquées plus haut. Assurément un bon film, solide, mais qui manque (cruellement) de poigne.