Voici un film sans concession. Un film qui vous va droit aux tripes, qui vous remue et vous propose un « voyage » au cœur de l’enfer.
Tout commence de la manière la plus insouciante qui soit. Au début des années 90, un petit garçon, Gaby, vit dans un cadre aisé à Bujumbura : le père est Français, il a quitté son pays pour venir faire fortune au Burundi ; la mère, originaire du Rwanda, n’a qu’un désir : partir pour la France qui la fait tant rêver ; avec sa petite sœur et ses copains, l’enfant a tout pour être heureux et mener une vie de petit privilégié. Mais bientôt se mettent à retentir des bruits inquiétants, prélude à un changement imminent : la guerre civile, d’abord larvée, se donne rapidement libre cours, l’horreur est aux portes de l’éden, l’enfant fait l’apprentissage d’une autre vie où la folie meurtrière ne saurait s’imposer de limites.
C’est bien sûr la guerre opposant Hutus et Tutsis qui éclate au Burundi, suivie du génocide des Tutsis au Rwanda. La caméra va dès lors nous plonger dans la peur de tous les instants, enregistrant des scènes parfois d’une grande cruauté. Certains plans, caméra à l’épaule, donnent le tournis. Mais c’est surtout le son qui va nous entraîner au cœur du fanatisme et de ce qu’il faut bien appeler le racisme porté à son paroxysme, avec toutes les violences qu’il peut engendrer. De ce point de vue, rien de plus inconfortable que certaines scènes qui agressent le spectateur et le placent – virtuellement ( !) – dans une situation qu’il ne souhaiterait aucunement connaître, il va de soi. On retiendra entre autres une scène de lynchage, à la fois éprouvante et témoignant d’une indéniable virtuosité cinématographique.
Le film d’Eric Barbier est doué d’une réelle force et d’un pouvoir de persuasion peu commun. Certes la situation politique n’apparaît qu’en filigrane, mais le propos du réalisateur – et d’abord de Gaël Faye, le romancier qui a participé à l’adaptation de son propre roman (largement autobiographique) – est de montrer comment l’horreur d’une guerre peut faire basculer une existence et constituer une source inépuisable de traumatismes.
Le cinéaste a eu recours majoritairement à des non-professionnels, le plus souvent des Burundais qui ont eu maille à partir avec leur gouvernement et ont été contraints à l’exil. C’est dire combien l’exacerbation des passions est rendue avec un naturel hors du commun. Peut-on même parler de leur jeu d’acteurs ? En l’occurrence, il s’agit davantage d’un psychodrame vécu de la manière la plus intense à mille lieues du jeu d’un Jean-Paul Rouve qui, dans le rôle du père de famille, témoigne d’un engagement très relatif, disons même d’une réelle distanciation.
Quant aux enfants, ils constituent la charge émotionnelle du film : le petit Gaby est plus vrai que nature et sa sœur Ana offre une fragilité qui n’est pas que de pure apparence.
Décidément, le drame rwandais ne cesse de nous interpeller au bout de tant d’années et l’on se souvient du film d’Atiq Rahimi, « Notre-Dame du Nil », qui traitait lui aussi de l’irruption de l’extrême violence dans un milieu apparemment protégé.