Après Ken Loach, notre société, mourante, dans ses dernières convulsions est décrite dans cet extraordinaire film de Robert Guediguian. Cette fois-ci, c'est en France, que l'ubérisation tue, viole. Comme chez Ken Loach, l'ubérisation du chauffeur passe par son attaque en règle. Ici, il ne s'agit même pas de voler, mais de blesser, pour empêcher cette marche inexorable, pour empêcher le chauffeur uber de rouler. Les individus sont à terre et continue de faire naître des enfants, avec le destin de plus en plus probable de devenir à leur tour esclaves. Ce que refusait l'ado de «sorry we missed you», le bébé, petite fille de «Gloria Mundi» ne pourra pas y échapper, comme le constate Daniel (Gérard Meylan) avant de se reprendre à rêver... Tout est tragique, tout est filmé dans un réalisme qui n'a rien à feu le cinéma italien. D'ailleurs, la performance d'Ariane Ascaride qui rappelle celle de Sophia Loren dans «une journée particulière» a été récompensée au festival de Venise. La décomposition de la société arrive quand les femmes doivent se soumettre, sans le dire. Encore plus violent que la prostitution occasionnelle des générations passées pour survivre. Il faut coucher pour avoir peut-être un poste. Le smartphone permet lui aussi une nouvelle forme de prostitution virtuelle pour ceux qui veulent travailler plus pour gagner plus. Le commerce se fait sur la misère des gens. Ce que certains appellent le recyclage, anciennement Mont de Piété. Les termes sont plus propre. La réalité plus sale. Celui qui a un peu d'argent impose son prix à celui qui n'en a pas, comme dans «la loi du marché» de Stéphane Brizé, mais en plus barbare. L'argent permet même d'exiger que la femme voilée ôte son voile. Discours totalement inversé du discours ambiant : l'irrespect, l'agression n'est pas de mettre un voile, mais de l'ôter. Guediguian dénonce aussi notre ethnocentrisme. Notre société n'a plus rien de supérieure. Elle est juste entrain d'agoniser. La femme fait toujours des ménages sur des bateaux dans les conditions décrites dans «Le quai de Ouisteham» de Florence Aubenas. Et le «premier de cordée», disciple affiché de Emmanuel Macron, détruit les gens, réduit les femmes en esclavage et laisse crever les hommes. Toujours comme dans le film de Ken Loach, c'est ici le chauffeur de bus qui voit son salaire dépendre du bon vouloir des policiers qui, cette fois, le ramènent à lui même, dans l'effet miroir fait par l'ado dans le film de Loach. Derrière un scénario d'autant plus palpitant que Guediguian prend son temps d'installer les personnages, se cache (à peine) une description systématique de la catastrophe sociétale que nous vivons. Ce film est ouvertement une dénonciation de la guerre déclanchée par Emmanuel Macron, - représentant du libéralisme qui rend esclave et de l'ubérasation - et le parti «En Marche» contre les pauvres, et des ravages qu'elle fait auprès d'une proportion de la population de plus en plus grande. Jusqu'où y perderons-nous notre dignité ? Sommes-nous encore en état de réagir pour stopper cette folie ? Le film est pessimiste. Très. Le seul élément rassurant est en dehors du film : en France, il nous reste un cinéma politique remarquable. 'Ils' n'ont pas réussi à le détruire. Jusqu'à quand ?