On ne pourra reprocher à Robert Guédiuian son manque de cohérence dans sa filmographie, lui qui filme depuis près de trente ans les atermoiements et les combats des classes sociales délaissées. Un cinéaste revendicatif, engagé et combattant qui s’apparente un peu à notre Ken Loach ou Mike Leigh national pour aller dans la comparaison facile mais aisément identifiable. Ses œuvres parlent de la condition humaine dans nos sociétés capitalistes à travers des portraits d’hommes et de femmes plus ou moins en lutte. Après le plus apaisé et apaisant « La Villa », très belle chronique hivernale méditerranéenne, il nous offre ici l’un de ses films les plus sombres et nihilistes avec « Gloria Mundi ». La scène inaugurale voit la naissance d’un bébé avant que ne s’affiche le titre du film. Un titre précédé des mots latins sic transit, constituant ainsi la citation latine originale dans sa totalité, et signifiant « Ainsi passe la gloire de ce monde ». Et à la vue du long-métrage, cette citation prend tout son sens et corrobore la vision désabusée du cinéaste en rapport avec le monde dans lequel nous (sur)vivons. Le constat est dur, amer et sans concessions. La sinistrose ambiante est palpable come jamais et la désillusion est partout. Les idéaux socialistes sont caduques et le capitalisme sauvage a tout rongé, rendant le monde et la société exsangues et les individus toujours plus individualistes. Car, ici, ce ne sont pas les bonnes âmes que l’on retient mais plutôt ces derniers, déshumanisés et carnassiers.
En clair, pas de soleil à l’horizon, ni même d’éclaircies dans le cinéma du plus marseillais des réalisateurs. Mais le fond est traité avec un tel réalisme social, certes sombre, mais jamais misérabiliste ni versé dans l’excès de pleurnicheries, que cela force le respect. Le ton est noir, la vie vécue par les personnages ne brille pas par sa gaieté, ils ne portent pas tous des valeurs morales à saluer et les événements malheureux qui s’enchaînent sont peut-être un peu nombreux (on appelle ça la loi des séries) mais c’est la direction voulue par le cinéaste. Il l’assume néanmoins royalement et de bout en bout et cette direction porte parfaitement sa vision des choses, sur son versant certes le plus pessimiste. Guédiguian est toujours entouré de sa bande de comédiens fétiches, une bande de cinéma qu’on a rarement vu aussi pérenne, soudée et fidèle sur le temps. Des acteurs et actrices magnifiques qui lui donnent tout et campent encore une distribution impeccable et d’une homogénéité inébranlable.
On a encore le droit à des moments de grâce comme cette discussion en pleine nuit entre un mari qui s’avoue jaloux et une compagne qui se veut rassurante (sublimes Darroussin et Ascaride) ou cette balade dans Marseille d’un homme emprisonné depuis des années qui redécouvre la liberté (la force tranquille de Gérard Meylan). Et puis ces deux jeunes couples et leurs vies parfaitement rendues qui met en opposition égoïsme et vénalité contre sens de la débrouille et honnêteté synthétisent parfaitement la vision dichotomique du cinéaste. Mais cette fois, la morale qui ressort de ces caractères et comportements contraires est tout sauf reluisante. Cette chronique de la misère ordinaire souffre peut-être d’un manque de fil conducteur bien défini mais on ne voit pas pour autant le temps passer et la beauté du geste fait le reste dans « Gloria Mundi », un film plein de rage contenue. C’est une tragédie ordinaire et contemporaine qui ne vous marque pas forcément de suite mais infuse à la sortie de la salle. Du bel ouvrage et un cinéma devenu bien trop rare.
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