Gloria Mundi brosse le portrait d’une ville et de vies ségréguées dans lesquelles dépérissent les liens de solidarité, dans lesquelles triomphent la solitude et les conflits de classes sociales. L’arrivée de l’enfant, la petite Gloria que tout le monde trouve très belle, constitue l’élément perturbateur qui déclenche le mécanisme tragique ; sa naissance raccorde les personnages aux lois de la réalité, le cinéaste choisissant de filmer l’accouchement de façon frontale, loin des conventions de bienséance. Les membres de la famille Benar, mis à l’épreuve, révèlent leurs tares ; nous les suivons dans leur intimité souvent synonyme d’adultère ou de haine à l’égard d’autrui. Pourtant, ce processus de dévoilement est porté par une musique religieuse qui confère à l’ensemble une sacralité, une dimension quasi christique : c’est au spectacle de la passion – au sens étymologique de souffrance – que nous assistons, pourvus de la focalisation d’un membre d’abord extérieur à la famille puis rattaché à elle, la focalisation du grand-père, en somme, figure de mystère et de sagesse. Gloria Mundi révise la représentation euphorique de l’arrivée du nouveau-né : elle ne signifie plus nouveau départ, mais pierre accrochée au cou de ceux qui en sont responsables. Car donner la vie devient une erreur, une responsabilité irresponsable dans une société orpheline qui se détache des modèles de vie défendus par les générations les plus âgées pour s’engouffrer dans le plaisir sans lendemain, la réussite matérielle au détriment des autres – Bruno et Aurore sont à la tête d’une boutique de rachat, « Tout Cash » –, le mépris de ses semblables au nom du profit. Le film saisit une urgence, mieux donne à vivre un état d’urgence permanent : les travailleurs sont dévalorisés et exploités, ils n’aiment pas ces gestes qu’ils répètent à longueur de journée et évoluent dans une Marseille défigurée, en travaux, assaillie par le tourisme, surveillée par l’armée, gangrenée par la violence et la misère. C’est un cri de révolte noire et pessimiste, un reflet terrifiant et anxiogène de notre société contemporaine qui transforme les liens du sang et de la famille en malédiction dont on sort que par la mort ou la prison.