L'Horizon : les secrets du tournage

L’Horizon a été conçu par Emilie Carpentier comme un film porté par l’énergie de jeunes gens qui confrontent leurs points de vue : "Cette énergie rafraîchissante et ce goût de la rhétorique provocatrice, je les ai rencontrés chez des adolescentes et adolescents issus de l’immigration, essentiellement africaine, pour lesquels j’ai animé des ateliers cinéma pendant dix ans dans une maison de quartier de Villejuif."

"Au détour d'une formule percutante ou d'un éclat de rire, ces jeunes gens ont renversé mon regard sur la société française. Moi qui avais été élevée à l’aune du “liberté, égalité, fraternité” de l’école publique, je me suis rendue compte que cette devise n’était pas la réalité dans laquelle ils vivaient, que les moyens n’étaient pas les mêmes selon les écoles, les quartiers... Sans compter le racisme quotidien."

"Un lien qui dépassait le cadre de l’atelier s’est créé avec certaines de ces jeunes femmes, que j’ai vu grandir jusqu’à ce qu’elles entrent dans le monde du travail. Et deux d’entre elles sont devenues des amies mais aussi les co-scénaristes de L’Horizon : Assmar Abdillah et Dany Bomou. La première image que j'ai eue de ce film ce sont ces jeunes magnifiques formant une ligne d'énergie face au spectateur..."

En mettant en scène une ZAD (Zone à défendre) au pied d'une banlieue HLM, il s'agissait pour Emilie Carpentier d'obliquer certaines perspectives. La réalisatrice voulait essayer de regarder la banlieue autrement : non comme la lisière de la ville, la ville dégradée et rejetée, mais comme le début de la campagne, la porte sur la nature. Elle explique :

"L'endroit où l'urbain et le rural ont l'espace de se rencontrer, de s'entrelacer et où ils produisent actuellement des lieux nouveaux. C'est là que naissent aujourd'hui les “fermes urbaines”, les “jardins partagés”, les “tiers-lieux” où les initiatives alternatives et citoyennes ont l'espace de se déployer. C'est là que des ceintures vertes pourraient répondre aux enjeux sociaux et écologiques des grandes villes."

"Je voulais également regarder autrement les jeunes gens qui y vivent, sortir des clichés. J’ai rencontré en banlieue des jeunes français de classe populaire comme les autres, qui participent complètement à notre société, où ils se meuvent avec aisance. Des jeunes gens qui réussissent. Parfois en contournant les barrières scolaires. Qui rêvent."

Pour jouer le personnage d'Adja Sissoko, Emilie Carpentier a choisi Tracy Gotoas, qui campe l'un des deux rôles principaux de la série Braqueurs aux côtés de Sami Bouajila. La cinéaste l'avait toutefois découverte sur le site de l’association 1000 visages. Elle se rappelle :

"Cette jeune actrice étonnante, inclassable, curieuse, culottée, percutante, s'est imposée immédiatement comme une évidence pour le rôle. Son énergie, sa fluidité, la richesse de ses propositions ont tout de suite épousé le personnage d'Adja."

"Cette jeune femme qui passe sans arrêt d'un monde à l'autre, se transformant continuellement. Douce et à l'écoute avec la personne âgée de l'Ephad, provoc et gouailleuse sur le barrage écolo, sincère et directe avec sa professeure au lycée, ou encore étincelante et sensuelle en soirée."

Emilie Carpentier a cherché à concevoir un film cartographique, où le paysage est un personnage et avec cette porosité entre la ville et la campagne. "Quand j’étais petite, j’habitais en banlieue proche et quand nous allions en voiture chez ma grand-mère en lointaine banlieue, on traversait ces espaces où il y avait à la fois des zones commerciales, des petites villes, des champs, des coquelicots... Je tenais à dépeindre ces paysages, raconter ces quartiers qui sont beaucoup plus variés et mélangés qu’on peut le penser, les relier entre eux comme des points sur une carte, mettre en scène la géographie de la banlieue comme lieu de porosité", se rappelle-t-elle.

Emilie Carpentier et la directrice de la photographie Elin Kirschfink voulaient que la caméra fasse corps avec Adja et qu’elle transmette sa vitalité : "Pour cela nous voulions une caméra fluide, curieuse, comme le personnage, qui arpente son monde avec énergie, une caméra qui capte ce qui l'interroge, la touche, l'amuse, l'entraîne. Même dans la vie de tous les jours Tracy et Sylvain ont une gestuelle parfois très chorégraphique. Je voulais capter la grâce et la puissance de cette gestuelle, leur offrir des scènes qui leur laissent le champ de la déployer sans modération !"