Nous retrouvons dans Place des Victoires cette même malice qui faisait la réussite du Père Noël, film d’Alexandre Coffre sorti en 2014 : c’est ici un jeune enfant rom qui raccorde l’existence morose de Bruno à son potentiel magique fondamental, par le prisme du vol à l’étalage et du cambriolage. La trajectoire définie par Le Père Noël s’inverse donc : ce n’est plus l’adulte qui entraîne l’enfant dans ses délits, mais l’enfant lui-même. Et là où le long métrage de 2014 s’achevait sur la rédemption du voleur, rien de tel ici : il n’y a pas de conclusion, et Place des Victoires se résout, pourrions-nous dire, en queue de poisson, signifiant ainsi l’instabilité qui règne et continue de régner sur les perspectives de réintégration de nos deux personnages à leur communauté. Or, le film interroge ce lien que l’individu a perdu avec sa famille : père et fils sont chassés de chez eux, condamnés à errer dans des lieux de passage jusqu’à ce qu’on veuille bien les reprendre à l’essai. Le caractère précaire des petits boulots effectués par Bruno correspond à la précarité des relations amoureuses et plus largement affectives au sein de Paris, ville-anonymat par excellence. L’immeuble où vivent ensemble Bruno et Gagic juxtaposent les solitudes, de l’étudiante contrainte de se prostituer pour gagner sa vie au locateur perdu dans une société qu’il ne comprend plus et forcé d’expulser des personnes à cause de la cupidité de son fils. Place des Victoires met en scène une rupture de communication entre les êtres et la propension d’un accident – « ce qui arrive », soit le garçon rom – à rétablir le contact en dépit des différences relatives à la culture et à la langue. Les personnages sont fantomatiques, ils déambulent dans des espaces urbains, se crient dessus, ne s’écoutent pas, ne se comprennent plus. L’enfant devient ainsi à l’image du mot dont il ne retient pas le sens et qu’il peine à lire : une lueur, faible clarté qui annonce le lever d’un jour nouveau. Voici ce que poursuit le long métrage de Yoann Guillouzouic : une lueur vacillante mais certaine. Deux excellents acteurs campent des rôles plus complexes qu’il n’y paraît : Piti Puia s’avère redoutable de roublardise et de tendresse ; Guillaume de Tonquédec trouve là l’un de ses meilleurs rôles, juste, puissant et constamment à fleur de peau. Le principal problème inhérent à Place des Victoires, c’est qu’il refuse de donner la parole à la famille rom du petit garçon mais la représente comme une entité barbare et inhumaine. Comme son personnage principal, le film passe la grille et s’aventure, le temps de quelques minutes, dans le camp de gitans ; mais c’est pour en ressortir aussitôt et n’y remettre les pieds que lorsque tout le monde aura quitté les lieux. Il aurait fallu ou se concentrer sur la relation entre Bruno et Gagic en excluant une fois pour toutes la famille ou bâtir un récit qui soit un véritable miroir et dans lequel viendraient se réfléchir deux histoires individuelles associées à deux familles dont ils sont les exclus. C’est certes ce que le film essaie de faire en brossant le portrait de deux âmes solitaires qui apprivoisent leur solitude à mesure qu’ils s’apprivoisent eux-mêmes. Mais là où la famille de Bruno finit par le réintégrer à sa cellule, celle de Gagic brille par son absence ; le gamin dort sur le palier, a visiblement été battu. Les reflets ne correspondent plus, et le long métrage, en refusant de pénétrer dans l’intimité de la famille gitane, conclut sur un happy end forcément dissonant. L’écriture du scénario est donc responsable du manichéisme qui prédomine ici et qui disqualifie en partie le regard porté sur ce phénomène social dont la complexité est éludée. Dommage.