Ses grands films, Todd Haynes les a réalisés dans le genre mélodramatique (Loin du Paradis en 2002 ou Carol, son chef d’œuvre, en 2015). On ne l’attendait pas, à priori, dans un registre très différent, celui du film-dossier, mais, sans atteindre des sommets, il s’en tire avec un indéniable savoir-faire. Certes, comme dans la plupart des films de ce type, on peut déplorer quelques longueurs et quelques redondances, mais on reste suffisamment captivé et l’on se sent suffisamment interpellé pour ne jamais risquer de perdre le fil de l’histoire.
Il faut dire que ce film met en évidence un scandale planétaire car, sans possiblement en être conscients, nous sommes tous contaminés, empoisonnés à plus ou moins haute dose par un produit qui sert, entre autres, à fabriquer le téflon. Or qui ne s’est jamais servi d’une poêle composée, au moins en partie, de cette matière ? Une matière hautement toxique fabriquée à grande échelle par les industries DuPont qui, tout en étant averti de la nocivité de leur produit, n’en continuent pas moins de le mettre sur le marché.
Cette infamie méritait bien un film, d’ailleurs basé sur des faits réels se déroulant du côté de Pakersburg en Virginie-Occidentale, une région que Todd Haynes montre comme figée dans de pâles couleurs d’hiver. Là se trouve un fermier qui assiste, impuissant, à l’hécatombe de toutes ses vaches. L’une après l’autre, elles deviennent comme folles, au point qu’il est obligé de les abattre. Il en a perdu 190. Or sa ferme se trouve non loin des usines DuPont et à proximité d’une décharge où les industriels enfouissent des déchets toxiques. Toute la région de Pakersburg en est affectée, l’eau des robinets étant elle-même contaminée.
Par un concours de circonstances, le fermier en question, débouté par tous les avocats de sa région, tant ils craignent de s’en prendre à un géant de l’industrie, adresse sa requête à Robert Bilott (Mark Ruffalo), pourtant très mal placé, puisqu’il fait partie d’un cabinet d’avocats spécialisé dans la défense des industries chimiques. C’est pourtant cet homme, dont le rôle a été confié par le réalisateur à l’acteur idéal, qui se laisse toucher par la détresse du fermier au point de se résoudre à le défendre.
Il s’engage alors dans une procédure au long cours, parsemée de divers rebondissements, une procédure harassante, qui n’est pas sans conséquences ni sur sa santé ni sur l’harmonie de sa vie de famille. Il faut être doté d’une volonté de fer, d’un acharnement peu ordinaire, pour tenir bon pendant des années, persévérer, envers et contre tout, à mener la lutte du frêle David contre le géant Goliath. Il faut le voir, cet avocat, épluchant des masses de dossiers remplissant des dizaines de cartons, comme un insecte s’attaquant à une montagne ! Ne serait-ce qu’à cause du portrait de cet homme allant jusqu’au bout de sa quête de vérité et de justice et mettant à jour tout un système économique et politique corrompu, ce film mérite sans nul doute qu’on fasse son éloge.