Dark Waters est un film lent, méthodique et minutieux, à l’image de son protagoniste principal : les événements s’enchaînent dans l’ordre, étiquetés par des dates qui introduisent chaque nouvelle étape dans le procès à l’encontre de Du Pont, responsable de la pollution au carbone des eaux de Virginie Occidentale ainsi que celle, plus large, véhiculée par les accessoires de cuisine dont la fabrication a utilisé du carbone. Todd Haynes retrouve ainsi les thématiques qui façonnèrent ses premiers longs métrages, Poison et surtout Safe, en 1995 ; le regard qu’il porte sur le drame environnemental et humain est pourvu d’un pessimisme qui dégrade les quelques halos de lumière que font émerger çà et là des espérances. Pourtant, après moult procédures et moult procès, c’est un cri de révolte et de désespoir qui résonne et triomphe : « le système est pourri ». Le film épouse la dynamique d’une contamination progressive qui part d’un foyer localisé – la petite exploitation agricole, le bureau d’avocats – pour se répandre partout et gangrené tous les milieux. Toutefois, il reste attaché à la forme du huis clos et prend le soin de s’enfermer dans des espaces clos, dans des cuisines avec sa famille, dans la salle de réunion avec ses collègues, dans le parking. Même la nature apparaît oppressée, cloisonnée : sa beauté est ailleurs, son âme est devenue essence, pétrole, carbone, pollution. La photographie du film privilégie une désaturation des couleurs, si bien que plane sur les personnages le spectre du confinement et d’un désastre dont seules les prémices sont ici visibles et rapportées. Porté par le personnage de Robert Bilott, qu’interprète à la perfection par un Mark Ruffalo qui trouve certainement ici l’une de ses meilleures prestations, Dark Waters pousse un cri d’alerte, un de plus dans notre monde en état d’urgence perpétuelle. Mais l’originalité de ce cri d’alerte est qu’il ne va pas de soi, qu’il se construit à mesure que Bilott prend lui-même conscience de la gravité de la situation, qu’il quitte sa passivité première – il s’excuse auprès du fermier, n’est pas l’homme qu’il faut – pour démasquer l’hypocrisie ambiante et confondre les coupables. À voir.