L’originalité au cinéma peut se manifester sous deux formes différentes. La première consiste à dissimuler au mieux ses influences et essayer de créer un univers propre et personnel. Proposer une approche inédite est plus rare actuellement, les réalisateurs cherchant rarement à repousser les limites du cinéma. La deuxième consiste au contraire à faire un cinéma de citation, un cinéma qui assume pleinement son héritage. Un réalisateur peut être qualifié d’original s’il parvient à mêler plusieurs influences qu’on n’aurait pas cru voir réunies ensemble un jour. ‘’La nuit venue’’, premier long-métrage de Frederic Farrucci fait indiscutablement partie de cette seconde catégorie-là.
Jin est un immigré chinois clandestin qui travaille à Paris, comme chauffeur de VTC la nuit. Il cherche à rembourser sa dette à l’égard de son patron qui lui a permis de venir à Paris. Un soir, il prend une passagère, Naomie. Ces deux paumés vont se rapprocher.
‘’La nuit venue’’ est hantée. Hantée par plusieurs types de cinéma qui peuvent venir à nos esprits. Ces types de cinéma, mêlés entre eux, offrent un résultat plutôt neuf : entre réalisme et onirisme,entre film social, polar mafieux et histoire d’amour. Il y a d’abord l’étude du milieu qui fascine. On a beaucoup eu des films français qui se plonge dans certaines communautés (maghrébines par exemple). Mais jamais l’on a eu de film sur la discrète communauté chinoise. Et plus exactement sur la communauté chinoise clandestine. Le film saisit parfaitement ce monde qui se caractérise par un entre-soi évident. Un monde étouffant tellement il est reclus et plongé dans l’ombre. Un monde qui n’a quasiment aucun contact avec les Français et qui ne fréquente que d’autres chinois (ce communautarisme va très loin : même les prostitués rencontrées sont exclusivement chinoises). Le film dissèque cette forme d’esclavage moderne que subissent ces personnes-là. Personnes qui sont contraints de passer par des réseaux mafieux pour arriver en France, et ainsi s’endetter lourdement. Rien que pour ça, le film vaut le coup d’oeil (et c’est vrai qu’on peut être lassé de tous ces films sociaux qui ne cessent d’explorer toujours les mêmes milieux : une fois n’est pas coutume, un jeune réalisateur, pour son premier film s’en va explorer un univers peu vu au cinéma ou plus généralement dans les médias).
Mais contextualiser le film dans un milieu clandestin et mafieux permet au film de dépasser le statut de film social (étiquette qui peut faire frémir) et de se rattacher au genre du film noir. A ce titre, le film est une véritable lettre d’amour à tous ces polars urbains et nocturnes que l’on trouve dans le cinéma américain. Pour être plus précis, « La nuit venue » s’inscrit dans cette lignée de films qui mettent en valeur le rôle du chauffeur couplé à la poésie nocturne de la ville. De ‘’The Driver’’ de Walter Hill à la filmographie de Michael Mann, on a beaucoup vu de films US se faire absorber par la nuit et ses mystères. Les films qui proposent une vision hallucinée de la ville, on en a légion (on peut rajouter ‘’Drive’’ de Nicolas Winding Refn qui comme ‘’The driver’’ et ‘’Collatéral’’ de Mann se concentre sur un chauffeur). Mais ‘’La nuit venue’’ se démarque de par sa nationalité. Le trouble naît de cette ville, Paris, qui est filmée de nuit comme une ville américaine. Ces séquences où le film stoppe la narration pour filmer la nuit, ses néons, ses éclats sont dignes des plus belles pépites du courant néo-noir. Pour autant, Frédéric Farrucci est malin et évite (presque) tout le temps de réaliser un simili de film noir américain. Certains codes sont ici rejetés par le jeune metteur en scène qui sait pertinemment qu’il ne peut pas faire de miracles et réaliser dès son premier film le nouveau ‘’Collatéral’’. ‘’La nuit venue’’ reste comme on l’a vu bien français et plusieurs figures inhérentes au genre noir sont détournés ici. Le couple de héros justement est loin des clichés des polars américains. Déjà, (et il n’y a rien de raciste à souligner cela), pas de personne blanche à l’horizon. Le beau ténébreux est asiatique. Et la femme fatale est d’origine maghrébine. De plus, le héros, aussi ténébreux soit-il ne se rattache pas à la figure du héros spectral au passé inconnu et qui massacre tous les tueurs lancés à ses trousses. Le metteur en scène en fait une figure tragique, avec ses faiblesses et un lourd et triste passé, ce qui nous le rend encore plus attachant. C’est bien cette proximité avec ces acteurs, loin des stéréotypes qui permettent à ‘’La nuit venue’’ de se démarquer du tout venant. Et l’histoire d’amour, classique dans ce genre de genre trouve des résonances sociales désespérées. L’émotion est aussi issue du duo d’acteurs, la sensuelle Camélia Jordana et le beau Guang Huo.
Nous avons donc affaire à un premier film véritablement prometteur (on peut se demander si Farrucci va continuer dans cette veine-là ou se diversifier). Mais on peut faire quelques reproches au film. Même si le mélange de genre permet au film de gagner en originalité, ce dernier n’échappe pas à certaines conventions un peu trop usées.
La fin notamment du film qui aurait dû être émouvante est un peu trop téléphonée et cette impression de destin écrasant fait forcée (la personne qui abat notre malheureux héros avait anticipé que Jin allait se rendre dans les toilettes de la supérette?)
. C’est tout le dilemme des jeunes artistes. Faut-il être innovant au risque de paraître pompeux et imbu de soi-même, ou humble au risque d’être toujours sous le joug de ses influences ? En tout cas, Frederic Farrucci parvient brillamment et modestement à faire le trait d’union entre la lignée sociale du cinéma français et la lignée polar du cinéma américain.