Avant d’avoir des cow-boys, il faut avoir des vaches. Sans vache, inutile d’embaucher ces garçons vachers, guidant les troupeaux de bétail vers leurs pâturages. First Cow, le nouveau long-métrage de Kelly Reichardt présenté au Festival de Deauville 2020, et très largement salué par la critique, ne raconte pas l’histoire du premier cow-boy des USA. En quelque sort c’est un anti-western qui raconte l’histoire d’avant : celle de la première vache du territoire.
C’est difficile à imaginer de nos jours, et je l’ignorais, les vaches n’existaient pas aux Etats-Unis avant leur importation par les colons européens, vers les années 1820. First Cow raconte précisément l’arrivée de ce noble animal dans une région reculée du Far West, l’Oregon, au milieu du XIXe siècle …les aventuriers venus de tous les coins du monde étaient jusqu’alors trappeurs et piégeaient les castors pour fabriquer les chapeaux des européens….Ils se regroupaient parfois autour des forts militaires de rondins, dans des comptoirs aux ruelles boueuses et aux cabanes en bois grossièrement travaillé…dans ce paysage, une bande de trappeurs mal dégrossis , crapahute sur la piste d’un fugitif asiatique qui a fui une bande de russes…Ils sont accompagnés d’un cuistot taiseux et doux rêveur qu’ils rudoient…les deux hommes , Cookie, le cuistot et King Lu l’asiatique, se retrouvent au fort et ne se quitteront plus…Cookie va avoir l’idée de proposer aux pionniers de tout poil, des beignets qui rencontrent beaucoup de succès …pour réaliser ses beignets, Cookie trait en douce la vache apportée d’Europe par l’administrateur local appelé Facteur Chef…la suite on la devine, la ruse des deux compères sera éventée et ils ne devront leur salut que dans la fuite…
Le film de Kelly Reichardt peut se voir comme un western naturaliste, un film hors du temps, un poème visuel qui revisite d’un œil neuf le mythe des origines de Etats Unis…Avec un minimaliste déconcertant, il montre, qu’avant d’être ces héros de la Légende de l’Ouest, c’était un ramassis de pouilleux, accourus pour faire fortune…et au cœur de ce monde égoïste et sauvage, Kelly Reichardt fait émerger une paire d’amis, à l’amitié pure, sous le regard d’une vache quasi-affectueuse…. Christopher Blauvelt est chargé de la photographie, et délivre une composition naturaliste valorisant avec réalisme, les forêts et environnements pastoraux.
Cette reconstitution bucolique du quotidien de ces pionniers de la Frontière, est la réussite remarquable du film, qui immerge facilement le spectateur dans cette époque de l’Amérique sauvage. Le recours au format 1,37 :1, qui restitue une image « carrée » rappelle les débuts du cinéma, et donne l’impression de voir quasiment un documentaire qui aurait été filmé directement dans ces années.
En cherchant à coller au plus près du « vrai », Kelly Reichardt renonce à verser dans le spectaculaire. L’utilisation de la lumière naturelle, la lenteur du rythme, la quasi-absence de musique, accentue cette volonté de tenter de reconstituer le réel, ses silences et ses absences d’action. Ce parti-pris, durant les deux heures bien tassées que dure First Cow, finit pourtant par provoquer chez le spectateur une douce somnolence. C’est le seul bémol que je mettrais à ce film plein de délicatesse mais malheureusement à la distribution restreinte.