Vingt-quatre ans plus tard, de nombreuses choses ont changé. Ridley Scott a entamé un marathon de dix-huit films. Russell Crowe s'est fait une belle carrière. Le péplum, lui, est aux oubliettes depuis des lustres, la faute à une offre pas glorieuse qui a buté sur un obstacle, le seul d'ailleurs : Gladiator. Ils y en a eu des héritiers potentiels, mais soit ils n'avaient pas l'ampleur, pas le romantisme ou pas Russell Crowe, voire pas les trois du tout. Un drôle de colosse, ce film. Un peu comme Titanic, il semble hors du temps. Unique ? Plus vraiment, maintenant que cette suite existe. Un pari impossible oui, et c'est une simple commande. Les temps changent, les œuvres bougent d'une génération à une autre mais l'industrie elle reste inamovible. Quoiqu'il en soit, Scott accepte gaiement le job et envoie paître quiconque met en doute ses projets. Les chances sont contre lui ? Parfait. Les historiens se préparent au pire ? Parfait. Les fans ne sont pas contents ? Parfait. Vous non plus ? Inutile d'enchainer, c'est compris pour tout le monde. De toute façon, on ira parce qu'après tout, on veut être diverti. Et sur ce plan, Gladiator 2 remplit son contrat.
On se rassure, cette suite non désirée ne fait pas injure à l'original. Ridley Scott préfère jouer avec lui, et donc son spectateur. Le scénariste David Scarpa et le metteur en scène s'emploient à en reprendre les grandes étapes pour inverser, tordre ou transgresser. Le gladiateur n'est plus un général déchu mais un barbare remonté, Rome est tenu par deux empereurs insatiables et le marchand d'esclaves a la folie des grandeurs. L'heure n'est plus au romantisme mais à la régression. Scott n'en plus vraiment le même depuis dix ans. L'héroïsme du premier ou l'humanisme de Kingdom of Heaven sont loin désormais. Gladiator 2 est un long-métrage pragmatique. Plus gros, plus fou, plus violent ; c'est ce qu'on était en droit d'attendre. On est servi. Des babouins carnivores, une charge de rhinocéros, une bataille navale au Colisée,...Même les idées les plus tarées participent au plaisir. Les combats sont bestiaux et nerveux, parfaitement chorégraphiés. À 86 ans, le cinéaste reste un formaliste hors-pair, spécialiste du plan qui claque (il y en a un paquet ici). Il sait aussi se reposer sur ses deux interprètes principaux pour pousser le délire. Denzel Washington électrise chaque scène où il apparait et Paul Mescal y va à l'énergie. Tout est donc fait pour que le panard soit total. Sauf qu'en misant tout sur le spectacle, pas mal de choses sont négligées en cours de route.
Passé la première moitié (réussie, d'ailleurs), Gladiator 2 part à toute berzingue et enchaîne les rebondissements de manière mécanique. On sait que Ridley Scott n'est plus vraiment porté sur les émotions, mais là on ne parle ni d'un film noir dans le désert ni d'un Frankenstein avec des Xénomorphes. L'original fonctionne d'abord parce qu'on est investi dans la quête de Maximus, on ressent sa colère et ses tourments. Ici, Lucius souffre d'une trajectoire basique et son évolution est parfois nébuleuse. Le seul personnage au potentiel certain est Acacius (très bon Pedro Pascal) mais il n'a pas assez d'espace. Or, tout le sel devrait graviter autour de sa relation entre lui, Lucius et Lucilla. Hélas, on frôle plus qu'on ne touche le vrai sujet. Ce n'est pas une nouveauté chez Scott, mais le montage est également problématique. À de nombreuses reprises, le long-métrage écourte l'exposition, ce qui limite les personnages donc mais amoindrit certains morceaux d'action, puisque la sauce n'a pas le temps de monter. Autre point crucial, la bande-originale. Elle est ici quelconque, ce qui équivaut à une grosse déception tant le score signé Hans Zimmer/Lisa Gerrard continue d'emporter les foules à chacun de ses concerts. Si la gémellité entre les deux volets s'entend d'un point de vue narratif (la plupart des suites reprennent le schéma tracé avant elles), la deuxième partie fait trop de références directes (pas subtiles du tout) à Gladiator. Ce qui ne fait que rappeler combien ce numéro 2 lui est inférieur. Je sera néanmoins magnanime avec lui, parce qu'il n'écorne pas le modèle, se montre parfois virtuose mais frustrant. Divertissant, en somme. Mais peut-on s'en satisfaire ? À vous de voir.