Le film-fleuve de Mariano Llinàs s'achève donc avec la fin du quatrième épisode (une mise en abyme du cinéma) et les épisodes 5 et 6. On était resté sur l'image de la voiture du réalisateur et de ses assistants étrangement perchée en haut d'un arbre, une situation peut-être causée par les actrices devenues sans explication des sorcières. On n'en saura d'ailleurs pas plus sur leur situation, Llinàs affirmant une fois de plus son goût pour le mystère et la prévalence de l'amorce de l'intrigue sur sa conduite et sa résolution. Il surprend de nouveau en imaginant un nouveau personnage (sorte de détective) qui va tenter de comprendre en utilisant un certain nombre d'indices les relations entre le réalisateur et ses actrices : son « enquête » n'a rien de classique mais se nourrit au contraire d'analogies qui semblent d'abord narrativement productives mais qui n'ont en fait pour but que de mettre sur un même plan deux esprits obsessionnels : celui du réalisateur devenu fou et celui de l'enquêteur. La folie est partout dans ce quatrième épisode, dont une partie importante se déroule dans un hôpital psychiatrique ; mais ce lieu devient aussi paradoxalement une sorte de théâtre érotique dans la mesure où l'un des patients séduit toutes les infirmières qui ne peuvent lui résister. On se demande à quoi peut bien servir ce personnage – quelle est sa fonction narrative ? – mais son caractère déroutant et l'originalité des scènes dans lesquelles il évolue suffirait presque à justifier son existence. Quant aux épisodes 5 et 6, ce sont avant tout de brillants exercice de style : le numéro 5 est une superbe relecture d'une "Partie de campagne" de Renoir, exagérée et émouvante, qui fait le pari fou de ne pas insérer le moindre son (il n'y a même aucune musique), sauf dans une sublime séquence où un ballet aérien fait figure de métaphore de la passion amoureuse dans l'histoire, pendant que l'on entend simultanément les dialogues de la fin du film de Renoir. Concernant le dernier épisode – lui aussi muet – qui montre la fuite de captives au XIXe siècle, son intérêt réside dans une trouvaille formelle sidérante : Llinàs choisit en effet de placer un filtre comportant des rayures et des tâches qui empêchent de voir distinctement les corps et les visages des quatre actrices. Le geste est à la fois proche de la photographie en ce que les couleurs mises en évidence semblent figer chaque plan, ancré pour de bon dans l'époque décrite, et aussi de la peinture. Par le filtre, l'image est similaire à un tableau impressionniste qui provoque un double mouvement successif et contradictoire : d'une part une mise à distance à cause de l'indistinction des corps et d'autre part une immersion puisque l’œil progressivement s'habitue au dispositif et le spectateur a l'impression d'être projeté dans le siècle représenté. Par la diversité de ses épisodes, inégaux en terme d'intérêt, de genres et de recherches formelles qui en découlent, "La Flor" s'apparente à un gigantesque laboratoire esthétique, affranchi de tous codes, où le goût pour la surprise et le jeu surplombent finalement les moments d'ennui, dont certains sont à la limite d'être abscons. Un film à part, d'une ambition démesurée et porté par quatre merveilleuses actrices, qu'on n'est pas prêt d'oublier !