L'aventure de Santiago, Italia a commencé au printemps de l’an dernier. Nanni Moretti était à Santiago pour une conférence et l’ambassadeur italien lui a parlé de deux jeunes diplomates qui avaient décidé d’accueillir les dissidents politiques. "J’ai découvert une belle histoire italienne d’accueil et de courage, un exemple de la façon dont les individus peuvent faire la différence. C’était une histoire de ma jeunesse, alors j’ai repensé à l’importance qu’avait eu à cette époque l’expérience chilienne, la figure du président Allende et ensuite le bouleversement du coup d’État. C’est ainsi que je me suis mis à travailler : quarante heures d’entretiens, non seulement pour parler du Chili mais aussi de l’Italie d’alors, du pays qui a le plus aidé", révèle le cinéaste.
Dans le film, on voit des témoignages émus sur la façon dont les Chiliens ont été accueillis avec générosité, le travail dans les champs en Émilie ou en usine à Milan, les cours d’italien, les soirées de musique andine pour soigner la nostalgie… Une autre Italie, véritablement. "Nombreux sont ceux qui n’associent les années 1970 qu’au terrorisme, on les enferme dans l’expression « Années de Plomb », mais c’est une erreur parce qu’elles n’ont pas été que cela mais beaucoup d’autres choses. Je dois dire que ces années m’ont surpris, j’ai éprouvé un rare moment d’orgueil national. Au montage, je me suis rendu compte que, sans que je l’aie programmé, le film commence en parlant du Chili d’autrefois et finit en parlant, involontairement mais pas par hasard, de l’Italie d’aujourd’hui", confie Nanni Moretti.
Pourquoi le coup d’État au Chili reste-t-il si marquant pour la génération de Nanni Moretti ? Le cinéaste répond. "Il y avait une symétrie entre les deux pays : Démocratie chrétienne, Parti socialiste, Parti communiste, conseils ouvriers, gauche socialiste, gauche révolutionnaire (au Chili elle l’était vraiment). Il y a eu une identification immédiate avec ce qui s’était passé pour la gauche chilienne, pour ce coup d’État qui a marqué vraiment beaucoup d’entre nous. C’était la fin d’un rêve : la gauche était allée au gouvernement pour la première fois par des élections libres, pas avec les armes.
Il y avait une différence énorme avec les autres expériences socialistes, c’était une expérimentation joyeuse et démocratique et on cherchait une solution originale qui ne soit pas proche de l’expérience soviétique ou chinoise, mais pas non plus de l’expérience cubaine. Ce qui frappe dans les témoignages que j’ai recueillis, durant les entretiens, c’est justement la joie de cette période. Je n’ai pas fait parler des experts ou des historiens mais des personnes qui ont vécu cette histoire dans leur chair. Des personnes qui y étaient. Dans leur voix, on perçoit la souffrance des ces jours-là, la peur. Beaucoup s’émeuvent et ne parviennent pas à poursuivre le récit ; après tant d’années, la blessure est encore ouverte. Et puis il y a le rôle établi des États-Unis et de Kissinger dans le coup d’État."