Même s’il n’est, à aucun moment, explicité au cours du film, le message est on ne peut plus clair et s’adresse à l’Italie d’aujourd’hui, une Italie dont le gouvernement populiste se fait le champion du repli identitaire en excitant la peur et le rejet des migrants. Or c’est d’une autre Italie, aux antipodes de celle d’aujourd’hui, dont se souvient le cinéaste Nanni Moretti, une Italie qui pouvait être citée en exemple du fait de son ouverture aux réfugiés et de sa qualité d’accueil.
Cette Italie-là, c’est celle de 1973, telle qu’elle s’est manifestée à l’ambassade de Santiago du Chili à l’époque du coup d’état du général Pinochet. Une fois n’est pas coutume, plutôt que de réaliser une fiction, le cinéaste a opté pour la forme documentaire, allant, pour ce faire, à la rencontre d’une vingtaine de témoins des événements. Connus, comme Patricio Guzman ou Carmen Castillo, eux-mêmes cinéastes, ou non, tous évoquent, souvent avec la voix vibrante d’émotion, ce qu’ils ont vécu.
Dans une première partie, Nanni Moretti s’attarde, assez longuement, sur l’engouement suscité par l’arrivée au pouvoir de Salvador Allende le 3 novembre 1970. Un véritable esprit de fête s’empara alors d’une bonne partie de la population. Comme le dit l’une des personnes interrogées par Moretti, « l’espoir n’était plus pour demain, il s’était concrétisé dans l’aujourd’hui. » Malheureusement, comme on le sait bien, ce succès ne convenait pas à tout le monde, que ce soit à l’intérieur même du Chili ou à l’extérieur, du côté des États-Unis en particulier. Ceux qui en avaient la capacité mirent donc tout en œuvre pour faire échouer le programme du gouvernement en place.
Jusqu’à ce qu’advienne le sinistre coup d’état de septembre 1973, au cours duquel fut bombardé le palais présidentiel de La Moneda. Ce qui s’ensuivit, c’est la dictature avec son cortège de répressions. Le cinéaste donne la parole aux victimes comme aux militaires et aux tortionnaires de cette triste époque. Les premiers, aujourd’hui encore, tant d’années après les événements, restent bouleversés tandis que les seconds persistent à s’innocenter eux-mêmes avec une consternante mauvaise foi.
C’est à l’heure des représailles, des exécutions et des tortures, que s’est affirmée l’Italie sous son plus beau visage. Une Italie généreuse accueillant de nombreux réfugiés dans son ambassade avant de pouvoir les évacuer vers Rome. Recherchés par les tortionnaires chiliens, des hommes, des femmes et même des enfants trouvèrent un salut en franchissant le haut mur qui entoure l’ambassade. Le documentaire de Nanni Moretti a beau être filmé de manière conventionnelle, faisant se succéder les témoins face à la caméra, on n’en ressent pas moins une profonde émotion en les voyant et en les écoutant.
Il faut, d’ailleurs, souligner, pour finir, le rôle joué par des membres de l’Église à cette occasion. À l’heure où il n’est question que de scandales, il n’est pas inutile de rappeler un autre visage de l’Église, un visage qui l’honore au lieu de la salir. C’est ainsi que l’un des témoins interrogés par le cinéaste évoque avec grand émoi un cardinal chilien (dont malheureusement il ne donne pas le nom) qui fit preuve d’un courage et d’une compassion exemplaires vis-à-vis des persécutés. Un autre se souvient de la religieuse qui le conduisit jusqu’à l’ambassade d’Italie. Quant au réalisateur lui-même, c’est l’Église d’aujourd’hui qu’il loue dans une interview parue dans Télérama : « Je suis, dit-il, parfaitement athée, mais cela ne m’empêche pas d’admirer certaines positions très fortes de l’Eglise catholique sur les migrants, bien plus courageuses que les balbutiements de la gauche… » Merci, Nanni Moretti !