Le moins que l’on puisse dire est que « Le Monde d’Hier » tombe à pic. Diastème avait déjà exploré le danger du fascisme dans le méconnu et pourtant formidable « Un Français », mais c’était le danger fasciste vu d’en bas, vu d’un skinhead. Revoilà la bête immonde par le haut, c'est-à-dire aux portes du pouvoir. Son film est court (90 minutes) et l’action tient en quelques jours, 48 heures tout au plus. Réalisé de façon très propre, il est accompagné d’une musique au violon qui appuie, à mon sens, un peu trop les effets. Omniprésente pour ne pas dire envahissante par moment, elle est censée souligner le côté dramatique du sujet. C’était parfaitement inutile, le sujet parle pour lui-même ! Il y a quelques scènes un peu mélo qui dérangent un peu,
comme la scène d’évanouissement dans le jardin, ou la longue scène tragique qui la précède et qui flirte quand même un peu avec le ridicule
. Et c’est dommage d’ailleurs car c’est un sujet en or que Diastème avait dans ses mains. Il multiplie les petits symboles, pas toujours très subtilement
(le western, « Moby Dick »)
, c’est de bonne guerre, ça peut faire son petit effet mais ce n’est pas là l’essentiel. L’essentiel, c’est la problématique de fond que le film véhicule : la fin, aussi vertueuse soit-elle, peut-elle justifier tous les moyens, même les plus ignobles ? Jusqu’où peut aller la démocratie pour se sauver elle-même, doit-elle aller jusqu’à se renier ? C’est vertigineux comme problématique, et c’est pour cela que sur le papier le film de Diastème est si pertinent et prometteur.
Reste que faire tenir en 90 minutes (et sur deux jours) l’affaire Takkiedine, le secret du cancer présidentiel, l’affaire de Grossouvres, ça fait un peu beaucoup !
En fait, ce film est un film à double clef : tous les personnages faisant très vite penser à un mélange de deux très connus. Rien de tout cela n’est réellement subtil, il faut bien le reconnaitre. Est-ce la patte journalistique de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, deux journalistes bien connus et coscénaristes, que l’on peut voir ici ? Attention, journalistes et scénaristes sont deux métiers différents ! Le film pose un problème… et se garde bien d’y répondre franchement,
préférant laisser une fin plus ou moins ouverte où le spectateur pourra y mettre ce qu’il veut.
Cette fin, assez abrupte d’ailleurs, nous laisse sur une impression d’inachevé. Même si le scénario lorgne du côté de « Baron Noir », il peine clairement à se hisser à son niveau. Un peu trop mélo et un peu trop verbeux par moment, il dépeint une France sur le point de tomber comme un fruit mûr dans les mains d’un fascisme qui, pour le coup, est décrit sans périphrases et sans fausse pudeur. Là où aujourd’hui on a parfois des scrupules bien malvenus à appeler un chat un chat, Diastème place des mots forts sur des situations fortes, sans craintes, et ça, c’est plutôt à mettre à son crédit. Autre petite chose bien vue, et qui mériterait presque un film entier, c’est le rôle tenu par Alban Lenoir, membre du service de protection et qui suit la Présidente comme son ombre. Ce qui se noue entre le protégé et le protecteur, cette espèce d’amitié et même de complicité, c’est assez bien montré par « Le Monde d’Hier ». Coté casting, si je ne trouve rien à redire sur la prestation de Léa Drucker, ni sur celle d’Alban Lenoir (dont j’ai souvent dit que c’était un acteur formidable qui en a encore sous le pied), j’ai été en revanche un peu déstabilisée par la composition de Denis Podalydes.
Un peu trop à fleur de peau, un peu trop émotif, un peu trop familier aussi pour ce qu’on imagine être un Secrétaire Général de l’Elysée
. Quant à Benjamin Biolay, je me demande si je ne suis pas la seule personne dans ce pays qui pense qu’il ne sait pas jouer la comédie. Rien à faire, quel que soit le rôle qu’il tient, je trouve qu’il joue faux ! La comparaison avec Jacques Weber, qui n’a pourtant qu’une seule scène, saute aux yeux. Formidable sur le papier, essentiel quant au message véhiculé, « le Monde d’Hier » n’a pas réussi à tenir ses promesses. Reste malgré tout la satisfaction de voir le cinéma français abandonner sa frilosité habituelle en matière de film politique, satisfaction un peu maigre, mais satisfaction quand même.