S’il faut se rappeler dans un premier temps de la comédie pour adolescents « Clueless », cette adaptation du roman de Jane Austen ne souffre pas tant que cela du décalage temporel. Exit la bourgeoisie américaine des temps modernes et place à coquetterie britannique. On nous ramène ainsi à une époque où les relations naissent par nécessité ou par amour. Et quelques fois, les deux vont de pair, malgré une héroïne dont le code moral influe énormément sur son entourage, à l’image d’une société abasourdite par l’estime de soi. La photographe Autumn de Wilde s’emploie donc avec une certaine élégance dans une première réalisation plutôt bien transposée aux problématiques contemporaines. Mais ce jeu possède ses limites, car le second degré, fièrement entretenu par l’auteur n’est pas toujours bien mis en scène pour qu’on la comprenne et qu’on la ressente. Les émotions sont au cœur du débat et l’on n’avance jamais assez loin dans la narration pour les associer aux mœurs dont il est question.
Le récit en oublie également une structure policière qui fait tout le charme de cette comédie. Le burlesque appelle un certain décalage que l’on trouve rarement, malgré un Bill Nighy affaibli. Mais toute l’attention se repose sur Emma Woodhouse, campée par une Anya Taylor-Joy rigoureuse. Chaque époque est divertie par une entremetteuse et celle-ci est loin de ressembler à un site de rencontre, du moins, dans cet élan dont on ne manipule pas l’énergie avec la finesse souhaitée. À force de tâtonner l’insouciance du personnage, qui ne se rend évidemment pas compte que ses actes résultent plus de l’antipathie que de la noblesse, on finit par jouer la même boucle tout le long. Parallèlement, la plupart des situations comiques ne font qu’effleurer le sujet. De plus, le réalisme ou la banalité du monde n’est pas toujours palpable si l’on omet les longues scènes de promenades. Le mouvement se révèle superficiel, car les angles parlent d’eux-mêmes. Doit-on y voir la staticité d’une société qui vit mal sa mutation ou juste un choix de mise en scène académique ?
Tout ressemble à un défilé de maladresses, malgré quelques dialogues délicieux, mais qui n’ont pas l’occasion de marquer les esprits. Revenons-en alors au personnage, qui est loin d’être anecdotique qu’il n’y parait. Elle préserve le film d’une chute certaine, mais pas d’un dérapage, gage d’une première réalisation ambitieuse et dont les techniques s’affineront avec le temps. La foire aux célibataires s’annonce donc compromise par les caprices d’une bourgeoise idolâtrée pour ses résultats, mais pervertie par des conséquences irréversibles. Et c’est justement dans cette distance, régie par la hiérarchie des classes, que l’on trouve toute la teneur des thèmes explorés. Dommage que l’on cabotine dans un premier acte difficile à conclure, avant de rompre cette continuité bien connue des spectateurs aguerris. L’illusion n’est réussie que si elle a le sens du timing. Malheureusement, il s’agit d’un concept qui échappe à cette narration et à la notion de consentement.
Hélas, « Emma. » n’est pas à la hauteur d’une adaptation complète, car l’exercice de style ne couvre que le décor, les couleurs vives des costumes et la photographie. Les bons points s’effacent donc petit à petit derrière de bons passages qui nous ramènent à l’Église et au mariage. Le dynamisme d’Emma se voit ainsi alimenter d’une aura de cruauté dont elle ne soupçonne pas l’existence et nous autres spectateurs, sommes témoins de ces moments qui convergeront inévitablement dans le doute. Entre ce que l’on pense connaître et ce que l’on apprend de nous-même, il existe un fossé qu’il faut combler avec de la confiance, chose que l’on redoute à travers les décisions d’hommes et femmes si imparfaits et donc si humains. Et s’il faut retenir un discours de cette balade incongrue, laissons-nous enchaîner un instant, le temps d’une danse qui synthétise toute la bêtise et la beauté de l’amour véritable, celui qui peut blesser.