Film méconnu, « Réquiem pour un massacre », visionné récemment (2022), m’a fortement ébranlé. La réalisation soviétique de cette oeuvre en 1985, soit 6 ans avant le démantèlement de l’URSS, semble avoir bénéficié de moyens importants. La qualité des reconstitutions, des effets spéciaux, qui justement ne semblent pas être spéciaux, mais réels, est marquante. Un lyrisme à la russe, une expressivité théâtrale à la Eisenstein, y sont monnaie courante, mais dans le cas de la guerre, c’est pour en décrire l’horreur de la meilleure façon, donc ici, c’est efficace. Les acteurs sont poussés dans leurs derniers retranchements. L’illustration des conditions du peuple paysan biélorusse y est tellement réaliste et misérable, que l’ajout de la guerre sonne comme le paroxisme du déni d’humanisme pour ces pauvre gens. La Biélorussie y est décrite comme une sorte de vaste campagne humide, de prairies, de champs et de forêts, où les habitants vivent loin de tout, et loin d’imaginer la puissance de frappe de leur ennemi, ni sa barbarie. Le traumatisme des êtres, leur impuissance, leur souffrance sonne comme le meilleur hymne antinazi. Le communisme n’est que timidement présent en ces lieux, celui-là même que les SS sont venus exterminer, n’est pas perceptible dans le mode de vie des paysan, comme si l’auteur avait voulu internationaliser le propos. A la limite cette biélorusse communiste y est présentée comme tellement misérable qu’on pourrait y voir un échec du communisme. Comment cela a-t-il passé la censure ? Mystère…. Ce pourrait être d’autres paysans, en Italie, ou en suède… D’autres peuples…. Mais non, ce sont bien des communistes. L’officier principal menant la résistance contre l’envahisseur arbore son étoile au front. Résistance est bien le mot, et non armée biélorusse, car les moyens décrits pour se battre sont dérisoires. Ils ont d’ailleurs littéralement pris le maquis, campant en pleine forêt comme des réfractaires au STO. L’automne ou l’hiver ajoute à la tristesse. Brumes, pluie, froid, marécages interminables au milieu desquels un île accueille quelques réfugiés, cachés, loin des villages, au sein desquels les Einsatzgruppen accomplissent leur macabre besogne sur des civils sans défense, sans distinction d’âge ni de sexe. On pouvait craindre ici un angle très pro soviétique, au coeur et à l’âme pure. Mais non. Là aussi, le réalisateur n’a pas oublié le travers des retournements de vestes, les sympathisants et collaborateurs pro-nazis surgis de la même population biélorusse, traîtres improbables guidant les soldats vers la mort des leurs, sans certitude que la leur ne soit pas au programme….
Je n’ai mis que 4 étoiles, car le final tend à offrir au camp biélorusse — que j’associe peut-être à tord au seul camp russe — le monopole de l’humanité, sachant le comportement des troupes russes en Ukraine en 2022, c’est un peu fort le café…. Mais c’est peut-être déplacé de ma part, car le peuple russe, celui qui souffre, n’est pas celui des brigades Wagner, ni même celui des soldats russes, dont beaucoup sont dégoûtés d’êtres là (en Ukraine). Et puis le film a été réalisé 37 ans avant la guerre d’Ukraine. Ce ne sont pas les mêmes.
« Réquiem pour un massacre », ce n’est pas un huis clos, mais presque: une forêt, d’où on ne sort pas ; des humains qui y survivent depuis toujours, on ne sait comment ; des soldats qui surgissent, on ne sait d’où, guidés semble-t-il par un Fokwulf bimoteur de reconnaissance, qui fascine étrangement le jeune Floria tout le long du film. Cet adolescent naïf rêvant d’en découdre avec l’ennemi, contre le quel un autre volatile, une cigogne, oppose symboliquement sa pureté bafouée, visible également à plusieurs reprises, après le fracas des obus et les balles traçantes des mitrailleuses lourdes.
Le final, j’y reviens, semble une ellipse étonnante, tant la déroute des nazis survient rapidement après leur forfait. Historiquement, c’est sans doute une liberté prise par le réalisateur pour montrer que les méchants perdent toujours. Cela sent un peu la fin retravaillée en dernière minute par la censure du bureau de la propagande communiste en 1985… mais ça n’enlève rien à l’intérêt de cette oeuvre majeure.