Le cinéma nous transporte. Nous regardons l’écran avec des rêves plein la tête, peu importe lesquels, nous rêvons. Nous rêvons en regardant des rêves, tels d’omniscients démiurges d’un monde que nous ne pouvons changer mais dont nous observons la destruction et la reconstruction dans une boucle qui ne saurait être bouclée. Nous créons nos propres rêves en images pour en permettre d’autres encore, foisonnement d’univers fruits de nos désirs. Des désirs font naître des créations, des créations font naître des émotions. En définitive, nous sommes nos propres aspirations.
Plus connu en tant que scripte et scénariste, la carrière de Kurt Wimmer sur la chaise de la direction n'est pas la plus marquante de son siècle. Ses réalisations sont au nombre de trois, dont deux, One Tough Bastard de 1998 et Ultraviolet de 2006 qui n'ont pas su sortir de l'obscurantisme dans lequel elles sont tombées pour ne plus en ressortir. Il en est cependant une, Equilibrium de 2003, qui a réussi à s'élever en tant que référence culte pour certains, en voyage riche de qualités pour d'autres ou encore pour le reste, en pâle copie de vieux sages avant elle, veillant à la bonne marche du courant dont ils sont les pères. Je parle ici de Fritz Lang, Truffaut, Kubrick, Orwell ou encore Terrence Gillian, avec respectivement leurs œuvres Metropolis, Fahrenheit 451, Orange Mécanique, 1984 et L’Armée des 12 singes pour qui la bête humaine n’est qu’un reptile bon à se mordre inlassablement la queue et dont Wimmer semble directement s’inspirer pour son film. La dystopie n’est que ressentis et regard sur le monde et en ça, Kurt fait son boulot avec maestria.
L’univers qui est dépeint dans Equilibrium est létal, sombre et implacable, pourtant juste dans un sens, dont le maître-mot semble être l’ordre. Un ordre qui pourtant ne crée que chaos, un chaos dans lequel le fonctionnement de ce monde grouillant de vérités égarées trouve son ordre, rejoignant de la sorte une certaine analogie de la fatalité. Une Terre fictive où les émotions, ou plutôt leur existence, font office de prisonniers en fuite pourchassés par la hache d’un bourreau infatigable et aveuglé par la foi en sa croisade. Régime totalitaire régit par une force invisible, où les émotions humaines sont annihilées par le Prozium que tous prennent aveuglément, persuadés que la paix n’est possible qu’en l’absence de l’essence de l’Homme. La paix au profit de l’humanité, voilà un moyen parmi tant d’autres. Une guerre adoptée, ravageuse d’horizons, remplacée par une guerre souterraine, contraire à elle-même.
Ecclésiaste Preston, fer de lance de cette société, parangon de ses préceptes et doctrines, s’articule autour de quelque chose qu’il n’a jamais touché. Au travers de ses tribulations en un macrocosme complètement artificiel, nous voyageons avec nous. Nous redécouvrons ce qui nous a amené à le regarder, lui, agent qui se meut face à des paysages jonchés d’un magnifique passé qui doit de nouveau s’élever, lui qui est mort pour mieux vivre. La perte de sentiments provoque la mort. Nous suivons un cadavre qui revit, attisant les ombres du linceul qui l’enveloppait, qu’on lui a imposé. Kurt Wimmer a fait mourir l’Homme pour mieux le faire renaître, le faire naître tout simplement, pour voir la beauté de ce qui l’entoure et le façonne.
« Mais moi étant pauvre, je n’ai que mes rêves. J’ai étalé mes rêves sous vos pieds. Piétiné doucement, car vous avez piétiné mes rêves. Je suppose que tu rêves Preston. », nous annonce un Ecclésiaste Partrige, touché par son humanité et ses songes retrouvés, presque le commandement d’un stratège suppliant pour le salut de son armée en perdition. Un homme accuse les hommes d’en être. La caméra de Wimmer ne nous montre pas un film de dictature sur simple fond de SF mais un regard, un regard plein d’émotions. Des émotions retranscrites non pas par les décors ternes, plats, simplistes, vides de toute tentation, vides comme le monde, mais par l’impassibilité d’un visage qui ne demande qu’à réapprendre. Que ce soit notre reflet dans le miroir, le soleil sur un panorama d’ordinaire abîmé par son austérité, la morsure glaciale d’une rampe d’escalier, la caresse d’un doigt hésitant sur une joue délicate ou un ruban de soie rouge imbibé de la promesse d’une réincarnation, tout est prétexte à une contemplation nécessaire à la survie et le réveil de nos émotions, même au sein du désespoir le plus absolu.
Des mots, toujours des mots. Mais tous les mots du monde ne peuvent remplacer l’impact du plus petit des maux qui nous ébranle au-delà de ce que nous avons pu considérer comme acquis., le manque d’humanité.
« C’est circulaire, nous existons pour continuer notre existence, quel est l’intérêt ? L’intérêt de mon existence est de ressentir et sans ça, respirer n’est qu’un cliquetis de montre. Parce que vous ne l’avez jamais fait vous ne pouvez pas savoir ce que c’est. »