Extraits de l’article d’Anthony Sitruk « Rollerball, un an après » publié sur filmsdeculte.com : Face à des projections tests désastreuses, McTiernan avait en effet été obligé de revoir sa copie, et de réduire son film de trente minutes. Retournant certaines scènes, enlevant une séquence dans laquelle un couple fait froidement l'amour, le cinéaste avait également dû faire l'impasse sur son désir de faire un film sur-découpé - on parlait alors de plus de 11000 plans - adapté de l'imagerie MTV. […] Reconnu pour son impressionnante maîtrise du cadre et de l'espace, ainsi que pour ses nombreuses expérimentations formelles, McTiernan ne pouvait en un sens que désorienter avec ce film qui brouille volontairement les pistes […] Pour le cinéaste, la règle du jeu importe aussi peu que l'issue du match. Le propos n'est pas là et c'est probablement dans cette négation que se situe la première réussite du film: dans cette capacité à retranscrire les émotions brutes de ces spectateurs du XXIème siècle à travers des matchs d'une violence inouïe qui n'ont d'autre intention que celle de dilater cette violence, jusqu'à placer le spectateur dans une position inconfortable […] Comme l'on peut le constater dans la simple construction du film ainsi que dans la présentation expédiée des règles du jeu par un commentateur sportif, McTiernan ne cherche à aucun moment à créer un quelconque suspense autour de l'issue des matchs. Ce qui concorde finalement avec l'idée que le cinéaste se faisait de son film, dans lequel le Rollerball ne devait apparaître que dans la demi-heure centrale. […] Rollerball effectue un déplacement subtil de son enjeu, de la piste de sport vers les coulisses. L'important n'est plus le match, les joueurs, les points marqués et à peine plus l'argent - évoqué lors des premiers plans du film qui montrent le décompte de sommes astronomiques en billets de banques, ainsi que dans certains dialogues entre les joueurs. L'objectif des dirigeants du Rollerball reste le pouvoir. Et la force de McTiernan est de réussir à démonter les arcannes de ce Léviathan, par une intrigue épileptique qui effectue des allers-retours systématiques entre l'arène (les joueurs, les mineurs) et les coulisses (les dirigeants, les chaînes de télé, la mafia russe…). C'est là que se loge le pouvoir, dans cette emprise, ce contrôle, dans ce mouvement unilatérale des ordres. Le pouvoir passe par le contrôle: contrôle de l'homme par la manipulation et l'exploitation de son image (voir les deux scènes dans lesquelles des joueurs sont suivis de près par toutes les caméras télé, afin de ne pas louper la moindre effusion de sang prévue par le "script"). Nous sommes dans un monde où tout passe par l'image, où tout est fictionnalisé par des techniciens capables de recréer numériquement une véritable ville occidentale autour de ce sport qui se déroule pourtant dans les pays du tiers-monde. Métaphore de la structure hollywoodienne (les matchs comme autant de films hollywoodiens, avec scénario codifié, acteurs, mise en scène, musique, et même doublages), allégorie sur la société capitaliste qui oriente l'être humain en dirigeant son image, le film décrit un univers dangereusement prophétique, dans lequel les joueurs sont les pions d'un jeu (d'un "script", comme le sous-entend l'un des personnages: "It's not in the script") qui les dépasse. Curieusement, Rollerball pourrait être rapproché de l'impressionnant Die Hard 3, dans lequel l'inspecteur McLane devait se soumettre aux ordres d'un terroriste qui lui dictait les scénarios dans lesquels jouer. Toujours, de la part de McTiernan, cette lutte pour l'histoire, pour le film, lutte sans fin représentée par le destin de héros obligés de se soumettre aux délires de dirigeants mégalomanes. Il est étonnant de constater que Basic ne raconte quasiment rien d'autre. Le pouvoir passe par le contrôle de l'image, par la surveillance permanente des individus. […] Là où Oliver Stone montrait dans Tueurs nés ou L'Enfer du Dimanche une population fascinée par la violence, starifiant des tueurs en séries, célébrant l'aspect gore de matchs de football, McTiernan ose espérer une révolte de la part d'une population opprimée par ceux là même qui contrôlent le jeu. […] la révolte des mineurs devait se poursuivre dans les rues, pendant une heure de métrage. On ne peut bien entendu que regretter ce manque mais, bien qu'à l'état embryonnaire, ce désir de révolte reste évident et fait écho à cette scène émouvante dans laquelle Aurora détruit une caméra de surveillance avant de faire l'amour froidement avec Jonathan. Rollerball devient un film en ébullition, dans lequel chaque scène manque d'exploser, dans lequel une révolte interne gronde pour mieux s'exprimer dans la demi-heure finale, par la mise en scène, le montage, la musique...