Il est plutôt paradoxal – on le reconnaîtra sans mauvaise foi – qu’un film refuse à ce point d’interroger les images qu’il met en scène, les femmes qu’il réifie et dont la chosification ne semble être qu’une tonalité, qu’une couleur subversive jetée sur un art incapable de prendre le recul nécessaire pour attester la porosité extrême entre le monde qu’il investit (à savoir la télévision) et celui dont émane son geste, aujourd’hui contesté par bon nombre d’actrices et d’acteurs. Car Scandale traite avant tout de l’image, cette image construite par un ensemble d’artifices qu’un spectateur ne soupçonne guère et qui sont pourtant à l’origine de sa manière de regarder tout contenu télévisuel et, plus largement, d’aborder le monde dans lequel il vit. La reconstitution du quotidien anxiogène s’avère réussi et nous plonge d’emblée dans des dédales de couloirs ouvrant sur des espaces de travail proches de la fourmilière où tapotent des mains sur leur clavier, où s’activent des corps rehaussés, déguisés, peinturlurés, des corps faux dont certains individus haut placés paraissent oublier la véritable personne qui se cache à l’intérieur. Or, en rapportant à la manière d’un scandale journalistique – ce qu’il annonce dès son titre – la thématique plus large du harcèlement sexuel et du viol au travail, le réalisateur Jay Roach s’interdit scolairement (il est piégé par les contraintes de la reconstitution historique) de s’accorder les libertés nécessaires à une exploration plus profonde des ressorts médiatiques et esthétiques de cette prostitution sur petits et grands écrans que le public semble souvent accepter sans se poser de question. Car il revient au cinéma certes de placer des causes nouvelles sur le devant de la scène, donc de les représenter, de donner l’illusion que la fiction parle du réel, mais il lui revient aussi et surtout d’établir avec elles une médiation par l’image, c’est-à-dire d’inciter le spectateur à prendre conscience d’une réalité à laquelle il n’avait jusqu’alors pas accès en modifiant son regard sur des médias familiers, donc sources potentielles d’une cécité idéologique. Et là où le film aurait dû être un désapprentissage esthétique par le biais d’un scandale, il se cantonne à illustrer ce scandale sans l’incarner par le cinéma, et cela en dépit de la très bonne prestation du casting tant féminin que masculin. Il convient donc, pour apprécier au mieux Scandale, de l’envisager comme un blockbuster de la cause des femmes, de l’appropriation par la frange la plus accessible du cinéma américain d’un combat à mener sans relâche, ce qui n’est en soi pas un défaut, ce qui néanmoins amoindrit sa portée réflexive. Un film nécessaire, important pour ce qu’il démontre, moins pour ce qu’il montre.