En 2016, en plaine campagne électorale, le très puissant Roger Ailes a été dégagé de la direction de Fox News suite à une série de plainte pour harcèlement et agressions sexuelles. A cette occasion, le grand public a appris ce qui se tramait de très vilain dans les coulisses de la pourtant très puritaine Fox News. A l’origine de ce séisme médiatique, deux femmes : une présentatrice de talk show virée sans ménagement Gretchen Carlson et la présentatrice vedette et très politique Megyn Kelly. C’est de l’histoire de ces deux femmes que la réalisateur Jay Roach tire « Scandale » (les distributeurs français auraient ils pu choisir un titre plus « bateau » et ridicule ? Je ne crois pas…). Sur le papier, malgré son beau casting, le film ne part pas gagnant. Le sujet est terriblement dans l’air du temps, trop surement de premier abord pour le spectateur lambda, et on s’attend à voir un film un peu démonstratif et peut-être même lénifiant sur un sujet qui l’on croit désormais bien connaitre, le harcèlement sexuel. Et pourtant le film fonctionne bien au-delà de ce que j’aurais imaginé. Il fonctionne d’abord parce qu’il est très bien fait, très dynamique dans son montage et dans sa construction, un peu comme l’était « Vice ». Roach mélange habilement son film avec des vraies images d’archives de Fox News, de la campagne électorale, il use avec précaution des flash back, et il film avec un certaine retenues les scènes les plus désagréables. C’est difficile de filmer la réalité du harcèlement sexuel sans tomber dans le voyeurisme, le crapoteux et le sordide, et ici, soit les scènes sont courtes, soit elles sont silencieuses, soit elles sont suggérées. Et nul besoin d’en montrer davantage pour comprendre ce qu’il y a à comprendre. Le film met en scène un nombre important de personnages qui sont surement bien connus des spectateurs américains mais ici, je dois dire qu’on s’embrouille un peu au jeu du « qui est qui », même si les noms sont incrustés en bas d’écran. Le montage est rapide, et si le public américain sait rapidement qui est à l’écran, quel est son positionnement, son importance, son rôle dans la petite musique politique et médiatique américaine, pour un spectateur français c’est beaucoup moins facile de s’y retrouver ! Le film dure 1h50, il commence pied au plancher et passe super vite, ce qui est toujours bon signe. Parfois les actrices s’adressent à nous directement, comme une sorte de faux documentaire, c’est presque ludique, malgré la lourdeur du sujet. Dans la forme, le film est réussi même si la réalisation n’est pas flamboyante. Le casting met en scène Nicole Kidman et Charlize Theron dans le rôle de deux journalistes bien réelles et Margot Robbie dans un rôle purement fictionnel. Je n’ai pas envie de les distinguer les unes des autres car chacune dans leur registre, elles parviennent à faire passer quelque chose qui n’était pas gagné au départ, de l’empathie. Pourtant elles incarnent des femmes qui sont au départ très éloignée des standards féministes : ultra conservatrices, plutôt fortunées, venues toute droit de la droite évangélique pour l’une d’entre elle, elles bossent sans états d’âmes pour une chaine qui est plus ou moins la tête de pont du Tea Party : à droite toute, sans nuance et avec paranoïa ! Et pourtant, leur souffrance est bien réelle, et c’est grâce à la pudeur et aux talent de ces trois actrices que la chimie fonctionne. Quelques beaux seconds rôles aussi, dont John Lighgow en adipeux et pervers Roger Ailes et Connie Brighton dans le rôle (surréaliste) de sa femme, alliance parfaite du déni et de l’arrivisme ! En racontant à la fois deux histoires vraies et une histoire purement fictionnelle, le film fait un peu du funambulisme. Cette troisième histoire, commençons par elle, est celle de la naïve Kayla. Cette jeune femme ambitieuse, dévouée à la ligne éditoriale de la chaine, symbolise tout le personnel féminin pris au piège de Fox News.
Elle va céder au harcèlement, on le comprend d’emblée, elle est trop impressionnée, trop fragile, écrasée par l’importance de Roger Ailes. Elle ne parlera jamais, elle à trop honte de ce qu’elle a été forcée de faire, par son silence elle va même permettre que le cirque continue et elle encore plus honte encore.
C’est la femme victime par excellence.
Pourquoi le scénario lui octroie il une aventure lesbienne, on ne le saura jamais ! Ca ne colle pas avec son background politique et religieux, c’est un parti pris difficile à comprendre.
Gretchen Carlson, c’est par elle que tout explose, c’est l’étincelle. Elle ne parlera qu’une fois virée
(on dirait même qu’elle fait tout pour l’être)
, et elle en paiera le prix en termes de carrière. Elle semble avoir prémédité son coup d’assez loin même si ce n’est jamais dit clairement, on sent chez elle des années et des années d’insultes sexistes, de vexations, de remarques déplacées qui se sont accumulées et qui ne demande qu’à exploser. Cette femme là, c’est la bombe à retardement, celle qui encaisse tout avec le sourire et le jour où elle se rebiffe, on la traite de tous les noms. Megyn Kelly, c’est la star, celle qui a tenu tête à Donald Trump et s’est fait insulter pendant un an à cause de cela par ses supporters. Son positionnement est capital, c’est elle qui, par sa notoriété, fera basculer le curseur, soit elle parle et Ailes tombe, soit elle se tait et rien en change. Elle a tout à perdre, contrairement à Gretchen qui a déjà perdu son job. C’est la femme-bombe qui suit l’étincelle, celle qui provoque l’effet de souffle. Trois femmes, trois façons de vivre, de subir ou de ne plus subir le harcèlement. Le mécanisme du harcèlement est parfaitement décrit par le scénario. Et ce qui l’est encore mieux, ce sont les réactions des employé(e)s de Fox News au scandale : pression, intimidation, lâcheté, espionnage, dénigrement, paranoïa, tout y passe. On pourrait penser que le film est caricatural sur le harcèlement comme sur l’attitude très « droitière » de Fox News, de ses patrons, de ses employés, de son audience. Si le film était sorti il y a seulement 5 ans, j’aurais écris ici que le scénairo était trop outrancier pour ne pas être contre-productif. Mais aujourd’hui, après 4 ans de Trumpisme, de fake news, après « Me Too », après tout ce qu'on déverse à longueur de temps sur les réseaux sociaux et les chaines de TV, je ne le crois plus si outrancier ou si caricatural, je crois qu’aujourd’hui, on en n’est plus là. « Scandale » n’est certes pas un film parfait, il est un peu démonstratif, mais il mérite le déplacement, il est bien filmé, bien incarné, et surtout il est édifiant.