Si la télévision pèse sur l’opinion publique, le cinéma n’a pas à bouder et finit également par se dresser comme un outil de justice qui peut susciter plus de méfiance que de bienfaits. Il est important de distinguer les bons mots derrière un discours qui cherche la subtilité et sans doute trop à en devenir confus. De “Austin Powers” à “Dalton Trumbo”, Jay Roach fait partie de ces réalisateurs qui se battent pour défendre une vision égalitaire selon des enjeux politiques et sociétaux. Ce projet lui permet alors d’expérimenter une nouvelle approche, mais qui dévoilent trop rapidement ses limites. Le discours féministe ne fait aucun doute et semble d’ailleurs nécessaire, mais l’image des hommes affaiblit l’efficacité et la pertinence d’un combat que l’on mène dans l’ombre. Pourtant, ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y a plus subtile que le silence, et dès qu’on le brise, le changement opère. Mais cela doit-il se faire au détriment d’un système remis en cause, au nom de l’intégrité ou même d’une carrière à sacrifier ?
Il y a un peu de tout cela et les réponses tournent autour du président de Fox News, Roger Ailes (John Lithgow), qui domine l’opinion publique à une échelle que l’on ne soupçonne pas toujours. Les dénonciations sont fortes et frontales, malgré le brin de mise en scène que l’on peut qualifier de méfiante. Quand il s’agira d’évoquer le harcèlement, cela résonne plutôt comme un bruit de couloir, car on nous confronte rarement à des attouchements. Le duel est davantage psychologique et ce sont les voix des femmes qui prennent le plus d’ampleur, étant donné la manière dont on les exploite. C’est donc dommage que le ressenti reste superficiel par bien des aspects. Des maladresses se dessinent, passé une introduction ambitieuse et qui aurait pu rendre sa comédie critique plus convaincante. Tout comme les premières lignes du prologue, il existe un certain risque en condensant le contexte, ce qui nous mène à exécuter notre propre enquête après coup. Roach veut aller à l’essentiel, mais il oublie d’iconiser ce monstre comme une menace pour des employés qui cherchent à bien évoluer et pour l’univers médiatique qu’il contrôle grâce à sa force d’élocution. De quoi nous rappeler un “Vice”, mais sans ce décalage assumé et brosser pour se moquer et investir un public dans la réflexion la plus totale.
La soumission des femmes est un réel enjeu d’actualité et le fait de proposer une œuvre qui se contente de superposer des témoignages gratuitement n’est pas très glorieux. La journaliste Megyn Kelly (Charlize Theron) nous accompagne donc dans sa demi-chute, car son dilemme traversera tout le récit, sans que l’on s’attarde assez sur les conséquences psychologiques d’elle ou de son entourage. Les propos sont si denses qu’on ne peut explorer toutes les failles et vulnérabilité du métier ou de la cohabitation avec un dictateur manipulateur. Pourtant, il y a de la place pour rendre cette intrigue plus humaine et plus morale, non pas qu’elle se situe à l’opposé, mais il reste du chemin à parcourir avant d’atteindre toutes les voix. Quant à Gretchen Carlson (Nicole Kidman), la miss Amérique de l’antenne, sa tâche est consacrée à la déconstruction d’un mythe que l’on connaît via des rumeurs, car il sera étonnant de devoir encore spéculer sur ce qui peut bien se passer dans le bureau d’Ailes. Et si les différentes voix-off qui se manifestent par surprise alimentent ces interrogations et notre confusion, on nous rappelle que la menace est d’avant tout invisible. Pourtant, son silence s’est croisé avec Kelly et Kayla Pospisil (Margot Robbie) avant qu’elle accuse stratégiquement le harceleur. Et pour cette dernière, personnage fictif, elle symbolise toutes ces victimes de l’ombre, ambitieuses et négligées, qui ont cédé aux avances, par crainte, par insouciance ou pour d’autres raisons inexplicables qu’un observateur ne peut deviner ou déduire. Avec une image abstraite de Roger, c’est de nouveau confus de se positionner, bien que l’instant d’une rencontre inconfortable, le doute ne sera plus une option, mais une contrainte qui nous pousse à condamner les abus par l’autorité.
Le message est donc à extrapoler, mais cet exemple concret n’est qu’un début sur cette chaîne mondiale qu’est le cinéma. Il y a encore des frontières à repousser afin de rendre un “Scandale” (Bombshell) encore plus symbolique. L’ère #MeToo ne devra pas non plus interférer avec les réelles valeurs du féminisme qu’il faut évidemment défendre, tout en gardant à l’esprit de partage et non pas d'extorsion des droits communs, sinon le combat se fera dans le sens du sexisme et nous nous égarerons. Il ne faut pas revendiquer la vengeance, bien que ce soit inévitable dans ce contexte, ni le pardon, mais la paix. Malgré tout, il serait recommandable de conserver cet œil aguicheur comme un complément à la série “The Loudest Voice”, qui explore davantage l’image hideuse mais imposante de Roger Ailes et la gestion de sa chaîne. De cette façon, il y a eu matière à voir en quoi sa suprématie fut anéantie grâce à l’habilité et au courage de femmes fortes en brisant le silence. De même, il sera plus agréable de suivre l’envers du décor grâce au point de vue masculin, républicain et personnel d’un homme dont les pensées et les ambitions sont lisibles. Mais il y a encore du travail avant de proposer le même genre de spectacle solide sur le grand écran.