La fascination de Rod Lurie pour la chose politique a sans doute des origines familiales, son père étant un dessinateur de presse politique israélien exilé aux Etats-Unis. Pour sa deuxième réalisation, il rebondit sur l’affaire Levinsky toute récente qui vient de remettre en cause toute la mandature du Président démocrate américain George Clinton, jusqu’alors plutôt populaire. Rod Lurie s’intéresse donc à l’intrusion de la vie privée, parfois la plus intime, dans la sphère politique, pouvant aller jusqu’à faire trembler les institutions. « Manipulations » de par la qualité de son casting et la portée de son scénario entend s’inscrire dans la lignée des nombreux grands films politiques qu’a toujours su initier Hollywood de « Mr Smith au sénat » (Frank Capra en 1939) à « Primary Colors » (Mike Nichols en 1998) en passant par « La cible parfaite » (Jacques Tourneur en 1958), « Tempête à Washington » (Otto Preminger en 1962), « Point Limite » (Sydney Lumet en 1964), « Votez Mc Kay » (Michael Ritchie en 1972) ou encore « Les hommes du Président » (Alan J. Pakula en 1976). Le pari engagé par Rod Lurie avec l’appui de Gary Oldman qui s’implique dans la production est largement tenu. Rod Lurie qui a écrit lui-même le scénario de son film, choisit de faire d’une femme la cible des attaques liées à sa vie privée. Appelée par le Président (Jeff Bridges onctueux et charismatique à souhait) pour la vice-présidence, la sénatrice démocrate Laine Hanson (Joan Allen) va être malmenée par le Président de la commission d’investiture, Shelon Runyon (Gary Oldman) qui à l’image d’un sénateur de triste mémoire se croit investi d’une mission divine pour laquelle il se décrète autorisé à tous les coups bas. Une inquisition qui ne dit pas son nom. Malgré des retournements qui finissent par devenir prévisibles, Rod Lurie s‘y entend à merveille pour construire un suspense politique jamais ennuyeux et surtout relativement limpide y compris pour le spectateur ignorant du mode de fonctionnement des institutions américaines. Comme partout ailleurs, la lutte pour le pouvoir fait passer bien loin en arrière-plan les préoccupations de ceux pour qui tout ce beau monde est censé travailler. C’est affreux mais captivant, notamment quand les acteurs sont inspirés. Joan Allen, actrice trop longtemps sous-estimée, a été choisie d’emblée par Rod Lurie qui a écrit le scénario en pensant à elle. Jeff Bridges qui rêvait d’incarner un homme politique, profite avec bonheur du renoncement de Paul Newman initialement pressenti pour le rôle. Gary Oldman confirme s’il en était besoin sa faculté à entrer dans tous les personnages, campant un politique retors à souhait qui a oublié depuis longtemps ses engagements passés, ne pensant plus qu’à sa nouvelle fonction de faiseur de roi. L’ineffable Sam Elliot, ici sans son incontournable moustache est mordant à souhait en conseiller du Président prêt à tout pour protéger son mentor. Quant à William Petersen, son rôle très secondaire de sénateur modèle lui offre en compensation une conclusion plutôt spectaculaire. Production plutôt luxueuse, « Manipulations » n’a pas eu le succès que lui laissait espérer un bon accueil critique. Rod Lurie n’a pas désarmé qui a continué à réaliser des films mélangeant suspense et faits de société ou politiques sans jamais rencontrer le succès commercial. Parcours atypique au sein de la Mecque du cinéma qui ne laisse généralement pas longtemps œuvrer un réalisateur ne trouvant pas la rentabilité.