Le drame horrifique est un des genres dont je suis le plus fervent. C'est assez simple à comprendre : nos désarrois, nos drames, naissent de nos peurs les plus intimes, et de la peur peut si facilement naître une poétique de la délivrance et de l'espoir que peu d'autres formes de lyrisme égalent, à compter que l'espoir est l'une des aspirations fondamentales de tout être sensible. La grande marotte du genre, mettre à nu les craintes et les douleurs de ses personnages terrifiés sans que ceux-ci ne puissent les voir, les comprendre et les exorciser revient en fait à nous laisser contempler des personnages perdus dans leur prison, les regarder se déchirer de l'intérieur (et d'ailleurs le faire avec eux, puisque la peur insufflée par l'image s'insinue forcément en nous) sans pouvoir intervenir, générant une impuissance mélancolique qui me fera toujours un effet considérable. Le problème des Autres, meilleur film d'Alejandro Amenábar, est de m'être tombé sous la main après trois films que je chéris particulièrement et qu'il rappelle nécessairement, puisque ce genre si inspirant ne va malheureusement pas sans certaines redondances (c'est l'envers de la médaille, la recette pour une émotion si unique contient forcément des ingrédients très proches). S'il m'a forcément rappelé le Shyamalan de Sixième Sens et du Village (l'un de mes films préférés), Les Autres possède également des atomes crochus avec le magnifique Deux Sœurs, long-métrage coréen que je ne saurais trop vous recommander. Le déjà-vu n'aide pas, chaque émotion s'usant un peu plus à mesure qu'on la ressent, je serai moins marqué par Les Autres que par ces trois références. Néanmoins, il reste un long-métrage exemplaire, celui où Amenábar prenait enfin conscience que la rigoureuse cohérence du récit et une respiration progressive qui laisse la place au malaise de s'insinuer sont infiniment préférables à des twists à n'en plus finir quand il s'agit de perdre un spectateur et de le maintenir concerné. Le film possède quand même une personnalité propre, en dépit de toutes les récurrences dont j'ai indiqué l'existence il y a quelques lignes. D'abord, j'ai aimé le sous-texte religieux dicté par cette mère aimante et autoritaire, mais avant tout dépassée, cherchant en une morale un peu trop rectiligne son chemin à travers une vie où, comme dans cette maison obscure et recluse, on se cogne aux meubles et aux réalités si on ne sait pas les aménager avec une once de doute et de mensonge. J'aime aussi la lenteur du processus par lequel la peur se transfère des enfants sur leur mère, à mesure que s'éloigne d'ailleurs la présence rassurante de l'idée de Dieu, ramenant l'adulte à l'enfant qu'elle est restée, l'humanité à la fragilité qui la guette. S'il fallait résumer Les Autres à un mouvement de caméra, j'imaginerais un lent zoom avant sur le visage de Kidman, qui annulerait petit à petit l'image reculée donnée par son allure et ses vêtements (celle d'une mère de famille britannique de l'époque victorienne) pour entrer dans la proximité hésitante et apeurée de ses traits, comme un voisin qui a vent d'un secret qu'il aurait préférer ignorer. La finalité du récit (avec la découverte de la cause des traumas de cette famille), esquisse cette même poursuite d'un point de fuite, rejetant hors du cadre tous les repères religieux ou idéaux pour regarder avec mélancolie ses personnages se recroqueviller sur eux-mêmes, enfants d'une humanité impuissante dès lors qu'un choc assez puissant vient lui arracher ses pâles certitudes, seulement guidée par l'infatigable désir de continuer à vivre. La mise en scène, pour sa part, concourt parfaitement à enfermer ces personnages en eux-mêmes, sobrement, sans tapage. Restant dans l'ombre, l'ambiance désuète mise en place ne se signale à aucun moment par des costumes trop voyants, des plans trop grandioses ou des scènes de frayeur trop appuyées. Elle se referme presque avec douceur, de façon implacable, sur le personnage de Kidman, comme le prolongement extérieur de son état mental. Ne jouant jamais la carte d'une nostalgie à outrance, alors même que sans jamais le dire, c'est ce même sentiment qui anime cette histoire, l'atmosphère surannée et moribonde des Autres n'en devient que plus implacable, et on y regarde Nicole Kidman s'y démêler en sachant d'avance, quelque part, qu'elle ne pourra pas en sortir. Bref, une mise en scène d'une justesse payante, qui travaille sur le long terme et sans esbroufe à la cohérence d'un récit pas révolutionnaire, mais assez personnel pour valoir incontestablement un coup d’œil intrigué.