C’est sa propre histoire, ou plutôt celle de son père, que raconte ici le réalisateur Edouard Bergeron, ce qui lui donne l’occasion d’illustrer à travers elle les bouleversements des dernières décennies qui ont profondément modifié des pratiques agricoles séculaires : à une époque où on parlait encore peu de bio et de circuit-court, nombre de petits exploitants eurent l’impression qu’ils devaient changer totalement leur manière de procéder, afin de rester concurrentiels sur un marché en voie de mondialisation. Une des pires solutions qu’ils purent trouver, même si les autres options paraissaient encore plus risquées voici vingt cinq ans, fut de devenir de simples gérants d'élevages pour le compte de géants de l’agroalimentaire, une soumission aux règles de la rentabilité à tout prix qui ne les protégeait ni de l’obligation d’investissements lourds pour mettre leur exploitation à niveau, ni du risque de produire à perte en fonction des fluctuations du marché. C’est le choix que fit Bergeron père, qu’on présente en ouverture de film comme un jeune homme revenu des Etats-Unis la tête pleine de rêves, bien décidé à faire prospérer l’exploitation familiale qu’il vient de racheter à son père. De cette vie saine et des bonheurs simples que ce choix de carrière semblait pouvoir offrir à l’aube des années 80, les dettes qui s’accumulent, la charge de travail en perpétuelle augmentation, inversement proportionnelle aux rentrées financières alors que le modèle économique global évolue, et les coups du sort finiront par avoir raison, comme ils finiront par avoir raison de Bergeron père, dont la décision radicale pour sortir de cet étranglement inéluctable ne fit finalement que préfigurer celle que prennent aujourd’hui des centaines d’agriculteurs français chaque année. Le scénario ne cache pas non plus que les valeurs propres au monde agricole, un monde où la solidarité est peu présente, y compris au sein d’une famille,, jouent sans doute un rôle dans ces drames à répétition. On a parfois l’impression que le film en fait trop et flatte l’empathie du spectateur avec un peu trop d’insistance et pourtant, Bergeron est formel : les choses furent en réalité bien pires que ce qu’il en dévoile dans son film. ‘Au nom de la terre’ est loin d’être le premier film consacré au désespoir du monde agricole que j’ai eu l’occasion de regarder, mais celui-ci bénéficie d’un casting un peu plus prestigieux que la moyenne mais surtout, sans trop entrer dans les détails techniques, il s’attarde sur la destruction progressive d’une cellule familiale dont on nous présente la capacité et les aspirations au bonheur en préambule, avec des personnages un peu plus “humanisés” que les cultos taciturnes et butés qui peuplent généralement les films de cet acabit, et c’est sans doute la raison pour laquelle le public français a réservé un succès inattendu à une oeuvre aussi dramatique et pessimiste que celle-ci.