Avec «Les ailes du désir» (Der Himmel über Berlin), Wenders a signé son film, à ce jour, le plus ambitieux, le plus riche et, pour tout dire, le plus réussi. Il y campe une Allemagne d'avant la réunification, symbolisée par la ville de Berlin, et que l'on découvre blessée par la guerre, marquée par la mauvaise conscience du passé nazi, mais aussi par la misère sociale, et tentée par le désespoir. Les anges, en particulier Damiel et Cassiel dont le réalisateur nous montre les pérégrinations, tentent d'y insuffler l'espoir et l'amour. Damiel, tombé amoureux d'une trapéziste, renoncera finalement à sa nature purement spirituelle pour assumer la condition charnelle des hommes et partager concrètement leur sort. Lointainement inspiré de l'oeuvre de Rilke, le film de Wenders est à la fois très complexe, profondément humain et intensément poétique. On peut y percevoir plusieurs niveaux de lecture. Au niveau le plus immédiat, on y verra une méditation sur le destin de l'Allemagne, voire un plaidoyer pour la réunification allemande. Mais, plus profondément, on y lira une fable philosophique en forme de méditation sur la condition humaine. Mêlant le noir et blanc (le monde vu part les anges) et la couleur (le monde vu par les humains), le réalisateur fait montre d'une grande audace formelle dans la construction, dans l'usage de textes poétiques et dans le recours à des musiques très diversifiées usant parfois d'un langage avant-gardiste... «Les ailes du désir» constitue donc un chef-d'oeuvre qu'aucun cinéphile ne peut ignorer. Il est fort dommage que Wenders, qui apparaissait comme l'un des réalisateurs les plus prometteurs des années 80, n'ait pas persévéré dans cette voie, pour adopter aujourd'hui un style plus conventionnel, plus populaire, voire démagogique!