A la fin des années 80, Alain Souchon chantait de façon prémonitoire l’ « Ultra Moderne Solitude », celle des grandes villes, de l’anonymat, et il ne s’en doutait pas encore à l’époque, celle des réseaux sociaux. Cédric Klapisch nous propose une comédie romantique en forme de miroir. En fait, ce n’est pas tant une comédie romantique qu’une comédie humaine, car les deux personnages principaux se croisent sans arrêt sans jamais se voir. Il filme plutôt l’avant-rencontre, celle qui met en condition d’accepter la rencontre. Sur le papier c’est un défit car on se dit que filmer deux solitudes, ca va très vite tourner en rond. En fait oui… et non. Non car pendant 1h50, Klapisch s’amuse à croiser les destins : Mélanie et Rémi vivent des situations à la fois similaires et très différentes : ils vont tous les deux chez des psy dont les méthodes et les cabinets sont très opposés ; ils achètent les même produits à l’épicerie du coin sans le savoir ; ils ont des problèmes de sommeil (hypermnésie d’un côté, insomnie de l’autre) ; ils fuient les nouvelles rencontres, elle sur Tinder, lui dans la vraie vie ; ils se sentent mal avec leur famille, lui se sent seul au milieu d’eux alors qu’elle la fuit. Ce jeu de miroir, où l’on se dit souvent « Ca y est, c’est là qu’ils vont se voir, échanger un mot, se sourire… » n’en finit pas. C’est vrai qu’au bout d’un moment, le film tourne un tout petit peu à vide et aurait surement gagné à être un peu moins long, un peu moins démonstratif aussi. Klapisch multiplie les occasions manquées à tel point que cela en devient un peu lassant au bout de presque deux heures ! A part cette petite sensation de « roue libre », le film est très agréable, bien filmé, bien illustré par une jolie musique, comme souvent chez Cédric Klapisch. Son film, qui offre à François Civil et Ana Girardot deux rôle de solitaires fragiles, est aussi l’occasion d’une flopée de seconds rôles bien troussés : Camille Cottin et François Berléand et psy, Simon Abkarian en épicier de bon conseil (mais qui conseille toujours les produits les plus chers !), Eye Aïdara ou encore Rebecca Marder. Pierre Niney vient faire une apparition dont il a le secret, en ami d’enfance un peu exalté et volubile (et carrément flippant), et même Cédric Klapisch lui-même fait un caméo à la manière d’Alfred Hitchcock. Je voudrais quand même adresser une mention spéciale à Nuggets le chaton, félin acteur né, qui vole carrément la vedette aux deux comédiens dans toutes les scènes où il apparait ! Pour en revenir à François Civil et Ana Girardot, ils n’ont pas forcément des partitions faciles à jouer. Ce n’est surement pas évident d’incarner la mélancolie sans trop en faire, ou sans en faire assez. On pourrait les trouver agaçant au bout d’un moment, à chercher leur mot, leur confiance en eux sans jamais les trouver. Sauf qu’ils ne sont pas agaçants, ils sont vrais. Il faut avoir traversé ce genre de mélancolie pour comprendre que parfois, dans une grande ville, l’anonymat est paradoxalement confortable et pesant. Mélanie et Rémi aspirent à vivre la vie que les autres leur montrent à travers les réseaux sociaux : sortir, être en couple, épanouis, heureux. Ils se mettent cette pression sans toujours avoir à l’esprit que sur les réseaux sociaux, on ne montre que ce qui est l’écume des choses et parfois, on triche. Cette « tyrannie du bonheur », phénomène de mieux en mieux connu et étudié, génère des millions de gens mal dans leur peau, qui ont l’impression de ne jamais être à la hauteur de ce que la vie attend d’eux. Mélanie et Rémi n’y échappent pas, François Civil est attachant et drôle, Ana Girardot est délicate et à fleur de peau. Leur couple, qui n’existe que dans l’imagination du spectateur, est parfaitement harmonieux et on enrage de les voir se tourner autour en permanence ! Du coup, si l’on excepte les petites incohérences (ils peuvent tous les deux se payer un appart de plusieurs pièces dans Paris avec leurs job respectifs ?) et les ficelles parfois un tout petit peu grosses, le scénario tient plutôt bien la route. Chacun de nous peut se reconnaitre dans une attitude, un personnage ou une scène. Par exemple, le repas familial très bruyant, où on parle beaucoup mais l’on ne communique pas, où tout le monde te demande si tu vas bien mais personne n’a envie de t’entendre dire que « Non, ça ne va pas trop fort en fait… », ça doit parler à beaucoup d’entre nous, j’imagine… Même si le film semble un peu long et répétitif, on va tous pouvoir y piocher quelque chose qui nous concerne, une impression de déjà vu, de bien connu, une sensation déjà douloureusement éprouvée. Personnellement je me suis sentie presque visée à plusieurs reprises par Cédric Klapisch, comme s’il s’adressait précisément à moi. C’est une sensation un peu étrange mais qui prouve que, quand on filme des gens ordinaires qui ont des vies et des problèmes ordinaires, on peut malgré tout faire du bon cinéma. Cédric Klapisch propose un film à hauteur d’homme, et qui parle de l’essentiel sans avoir l’air d’y toucher.