Pour Bruno Reidal, le travail du réalisateur Vincent Le Port sur les archives de l’époque a été particulièrement intense, notamment sur les photos, pour aller chercher le souci du détail qui peut faire la différence à l’image : les postures, les visages, les coupes de cheveux. Sur écran, ce travail d’orfèvrerie est flagrant, tant le réalisme est partout et l’ambiance, qu’il s’agisse de la narration, des plans, de la musique est rapidement morbide et presque comme étouffante. Le film est une claque, une merveille horrifique d’intensité, et une plongée ahurissante dans la psychologie meurtrière.
Physiquement chétif, la tête sur le côté, doué à l’école et devenant une forme d’atypique, le tout dans une indifférence générale, c’est bien le grand drame de son existence qui va se jouer ici. Il va alors se dérouler sous nos yeux toute la tragédie de l’histoire de Bruno, dans une effroyable confusion entre la pulsion sexuelle et celle de mort. Dans un triptyque symbolique presque horrifique entre Sexe, Mort et Religion, Bruno va décharger ses carences et son trauma sur ce besoin irrépressible, et cette croyance mystique qu’il va prendre du plaisir dans la souffrance de l’autre.
C’est ici que le film est renversant, car nous sommes dans la tête de Bruno, et nous allons avec lui vivre pleinement cette dissociation, qui va au bas mot jouer sur nos nerfs. En effet, le geste abominable de Bruno, sans être excusé est ici expliqué et cet art de la nuance, sans jugement, sans parti pris du réalisateur va donner une intelligence profonde au film. La façon dont son crime va être disséqué par les médecins, n’est pas sans rappeler les tout premiers travaux sur la compréhension des mécanismes meurtriers vu dans la formidable série Mindhunter (2017) qui nous plonge au cœur de « l’unité des sciences comportementales ».
Un film qui justement, tant il est époustouflant, glaçant, perturbant comme une hypnose visuelle façon Gaspard Noé, peut après coup aller jusqu’à interroger sur le sens même de l’art en général et du cinéma en particulier. Car en fonction de votre sensibilité, une émotion peut vous saisir au plus profond de l’âme, du cœur et des tripes. Avec ce questionnement lancinant de se faire bousculer à ce point, est-il la marque de fabrique d’un chef d’œuvre ? Ou faut-il quand même autre chose. Chacun-e- sera juge. En tous les cas, on en sort potentiellement nous même dissociés, sonnés et semi-conscients. C’est de fait un incroyable film bouleversant de virtuosité qui fait vivre une expérience organique, qui interroge de façon vertigineuse sur la folie de la carence, du trauma, qui explique mais n’excuse pas, c’est du grand art…