Histoire sur la famille, le devoir, les choix que l’on fait ou que l’on doit faire, UN HAVRE DE PAIX est le premier film de YONA ROZENKIER, et s’articule autour de la réunion de trois frères dans le kibboutz de leur enfance auprès de leur mère à l’occasion de l’enterrement de leur père, le tout sous la menace d’une nouvelle guerre et de sa cohorte d’obligations.
La sensation de culpabilité est une notion omniprésente dans ce film. Que ce soit au sein des interactions qui régissent les relations des trois frères, ou que ce soit dans le regard des autres, les habitants du Kibboutz notamment.
Le film semble construit sur un état de fait, la réalité d’une occupation (les territoires occupés), la réalité d’une menace (les alertes et les bombes) ; et celle plus insidieuse d’une forme de rejet. On sent - est-ce là un point important que souhaitait souligner le réalisateur - qu’il existe de facto deux populations, celle des villes, Tel-Aviv où réside le second frère qui fait l’objet d’une opprobe évidente ; et celle des villages, des kibboutz, où résident les deux autres frères, dont l’ainé quasiment va-t’en-guerre et le cadet qui lui doit être déployé pour la première fois dans quelques jours !
Suivant le second enterrement du père - il avait donné son corps à la science et après un an il est rendu à sa famille et enterré - nous assistons au retour du second frère, dans ce milieu étrange et nihiliste. Car c’est ici qu’il faut bien introduire cette parenthèse ; qu’est-ce qui peut justifier de faire vivre des populations dans des endroits aussi dangereux, dans ce qui n’a de village que le nom ? Il faut d’ailleurs souligner le fait que la plupart des habitants sont armés en permanence. Et donc, de petite brimade en termes plus appuyés (et assez violent dans le langage), s’installe ce retour temporaire au kibboutz, ces tentatives afin de dissuader le plus jeune frère d’aller se battre.
En partie autobiographique, les trois frères se trouvent être également les acteurs principaux, ce film montre un quotidien aussi étonnant et portant de façon indélébile les stigmates de ces traumatismes et de ces doutes - comme le souligne lui même le réalisateur - et de ce qui est devenu une vie, différente et à la limite malsaine comme certaines scènes peuvent le montrer. Car entre une mère esseulée et victime de cette permanente tension guerrière et machiste, entre des frères qui s’ignorent, se retrouvent parfois, et surtout ne se comprennent pas - nous sommes invités à porter un regard souvent surpris, parfois complaisant, mais aussi intrigué et étonné en voyant des personnes, accepter ces risques, vivre dans cet environnement perpétuellement dangereux ! L’une des forces du film est de ne jamais montrer la guerre, à peine quelques bruits, quelques plans séquences des frères courant s’abriter lors d’une alerte. Cet effacement de la peur, au profit d’une crainte omniprésente fait passer toute autre considération au second plan. Soulignant ce constat, la caméra passe sur des ruines, des rues défoncées, des maisons qui ne seront jamais terminées, et nous invite même à voir des victimes collatérales de la bêtise humaine, des animaux. Bien sûr - et c’est important de le souligner - il y a ces appels à la vie, des discussions sur la réouverture du centre culturel, des fêtes et des moments de détentes…
Oui mais voilà, tout cela n’invite guère à la détente, quand bien même il nous semblerait que tout n’est pas noir. Mais comment cela pourrait il ne pas être sombre, quand après des retrouvailles avec le frère cadet un jeune soldat du kibboutz se fait tuer, quand les deux frères ainés en viennent aux mains, quand chacun porte un poids - le deuil, les regrets, la culpabilité - au delà du supportable !
C’est là que nous sommes pris en tant que témoin ; témoins de ces relations, de la vie où les hommes (le retour du machisme) sont les seuls à décider, témoins des drames et des dommages qu’ont engendrés tous ces conflits. La conséquence est qu’il n’y a pas d’empathie spécifique pour ces personnages, comme s’ils n’étaient victimes (consentantes) que de leur souhait de vivre ici. De nouveau se pose à nous cette question relative à la guerre, aux risques que l’on prend et aux besoins dans un pays comme Israël d’occuper des territoires autrement qu’avec des troupes, afin d’établir des colonies et justifier ainsi une occupation. Ainsi - et subtilement - intervient la politique, menée par des gens vivant loin de ces zones à risques, et obligeant des femmes, des hommes et des enfants à vivre dans un perpétuel état de danger !
Le réalisateur n’a pas souhaité aller vers une dénonciation politique trop tangible, ce n’était pas le sujet de son métrage ; ceci dit chaque phrase, chaque respiration, chaque pensée, renvoie à ces obligations ; celles d’être dans des lieux proches de frontières contestées et particulièrement dangereuses, celles d’obéir à des politiques et des militaires, embourbant jour après jour le pays dans des épreuves qui loin de fortifier le pays, détruit des familles entières, annihile tout ce qui fait une communauté !
Un film pas aussi évident à appréhender qu’on pourrait croire et que l’on peut conseiller à tous ceux qui s’intéressent à ce conflit (omniprésent, même s’il n’est pas visible), ainsi qu’à ce que la guerre peut provoquer chez l’être humain… Finalement quand on y pense, il y a un discours philosophique bien présent relatif au devenir de l’homme et à sa résilience face à la dureté de la vie et les épreuves !
SYLVAIN MENARD pour Cinémaradio : https://www.cinemaradio.net/news/un-havre-de-paix-un-film-engage-de-yona-rozenkier-107?fbclid=IwAR37Qy17YhytMZ2OPEFjEcnoT6bSNJ_bJ0Aq4bIg0kh3tLjJl_snSoZDYzA