Un film charmant et savoureux, je dirais même délicieux, porté par deux comédiens manifestement heureux d’être là. A la fin du XVIIIe siècle, le cuisinier du Duc de Chamfort, personnage frivole sinon débauché, renvoie son cuisinier Pierre Manceron qui a osé proposer aux convives du Duc, des petits pâtés de pomme de terre à la truffe….Pensez donc, la pomme de terre, un aliment pour les pauvres et les cochons…Humilié, il retourne dans son village retrouver l’ancien relais de poste de son père, sur lequel son vieil ami Jacob a veillé…l’arrivée d’une jeune femme, au passé assez mystérieux , désireuse d’apprendre la cuisine lui redonnera non sans hésitations et résistance, l’envie de se remettre aux fourneaux et il finira par créer le premier restaurant… Éric Besnard prend des libertés avec l’histoire. Le premier restaurant est bien né dans cette période prérévolutionnaire, quand les nobles, sentant le vent mauvais, ont filé à l’étranger, congédiant leurs cuisiniers qui n’eurent alors comme ressource que de se mettre à leur compte. Non pas à la campagne, comme dans le film, mais sous les arcades du Palais-Royal, dans une ambiance bien plus licencieuse que sur l’écran. Qu’importe, l’essentiel n’est pas là, Éric Bernard rend hommage à la création d’un lieu de partage démocratique, à l’aube de la révolution française… c’est une histoire plaisante, certes un peu cousue de fil blanc qui rappelle « Ridicule » de Patrice Leconte dans son portrait cruel de l’aristocratie, ou le Vatel de Laurent Joffé pour la figure du cuisinier inspiré… La belle réussite de ce film tient entre autres à l’interprétation impeccable des acteurs (notamment Benjamin Lavernhe, en noble cynique, et Guillaume de Tonquédec, en intendant zélé). Avec sa rondeur mutique et la subtilité de son jeu, économe de ses effets, mais terriblement expressif, Grégory Gadebois rayonne en Pierre Manceron, fier et meurtri, rugueux et attentif. Il se déploie quand cette femme jouée par Isabelle Carré, femme complexe, aux multiples facettes, qui a beaucoup vécu et ne se déleste que peu à peu de ses secrets, parvient à le décadenasser et à lui faire entrevoir la richesse de son talent.
Mais c’est surtout pour la qualité de la photo, au soin apporté à la lumière et aux cadrages que ce film est séduisant…Délicieux a été réalisé dans un décor quasiment unique et qui a pour particularité de se transformer au fur et à mesure du film, comme l'explique Éric Bernard : "C’est d’abord une ruine, puis le lieu s’habille, il devient hédoniste et finit par procurer une impression de richesse. J’ai mis énormément de temps à dénicher cette grange du XVIIIème siècle au fin fond du Cantal. J’avais en tête les relais du poney express des westerns de John Ford et aussi la maison de L’Homme tranquille, auquel je rends hommage avec ces petits murets qui entourent le jardin. Cette grange était entièrement à moi : il n’y a pas une allumette, pas une plante, pas un brin d’herbe qui n’aient été créés de toutes pièces. » Éric Bernard retrouve son directeur de la photographie Jean-Marie Dreujou avec lequel il a travaillé de précédents films et les deux hommes ont cherché à réaliser un film de lumière rappelant la peinture de genre du 18ème siècle. Le metteur en scène se souvient : "Chardin nous a beaucoup influencés. Pour la peinture de genre, les personnages du peuple dans les décors de leurs fonctions, mais aussi pour la composition des natures mortes qui apparaissent en interludes et auxquelles je tenais symboliquement beaucoup ; d’abord parce que j’éprouve une véritable passion pour elles, et ensuite, parce que tout, dans leur assemblage, a un sens."…quant aux paysages et ces échappées sur les bois et les monts du Cantal, ils sont somptueux… Délicieux est une œuvre esthétique forte, un éloge de la cuisine, cet art subtil de la transformation et en installant son film, immergé dans la nature, sur quatre saisons, Éric Besnard travaille les clairs-obscurs d’une histoire magnifique, sensuelle et romanesque, sur fond de conflit de classes. Au seuil d’un basculement général.