S’il est réalisé par Nia DaCosta, Candyman version 2021 n’en demeure pas moins une œuvre qui s’insère dans la démarche esthétique et politique de Jordan Peele, cinéaste et producteur. La thèse défendue par ce dernier, explicite dans Get Out (2017) et Us (2019), est que l’exploitation des Noirs par les Blancs dépasse le factuel pour poursuivre et hanter les personnages comme une malédiction ; pire, pour les habiter et les constituer. Ainsi l’artiste ne devient-il véritable qu’en cassant son train de vie bourgeois pour s’ouvrir à ce qu’il est au plus profond de lui, pour se raccorder à ce lien qui l’unit à ses ancêtres et à sa communauté. « L’image qu’a l’Amérique du Noir vit aussi dans le cœur du Noir », écrit James Baldwin dans la première partie de ses Chroniques d’un enfant du pays.
Ici, le corps d’Anthony se dégrade à mesure qu’il renaît à lui-même tel un avatar du Candyman, légende tapie dans l’ombre, condamnée au reflet du miroir, « bannie dans la vaste obscurité gémissante » (Baldwin toujours). Cette réincarnation ne s’avère pourtant pas gratuite – et en cela le film veille à repousser séparatisme et communautarisme – puisqu’elle intervient dans un contexte marqué par le racisme. Le film s’ouvre et se referme sur une arrestation, opposant des policiers blancs à un homme noir qu’ils exécutent dans les deux cas sans autre forme de procès ; il montre également une forme de racisme quotidien, larvé en quelque sorte, lors d’une séquence dans les toilettes d’un lycée. Aussi, l’horreur et le frisson sont moins recherchés que la tension devant un spectacle de l’inexprimable : Anthony ne parvient pas à verbaliser ce qu’il ressent, il recourt à l’art comme à un biais par lequel extérioriser des visions cauchemardesques, d’abord appâté par l’intérêt que lui porte une critique en vogue, bientôt insensible au marché de l’art et aux discours ampoulés mêlant l’abstrait au sublime.
Avec l’appui de Jordan Peele, Nia DaCosta réussit donc à détourner les codes de la production horrifique sérielle pour livrer une réflexion sur la condition de l’homme noir aux États-Unis et sur les spécificités de ses légendes, cantonnées à la marge et à la pénombre. Elle signe un film maîtrisé et élégant, trop propre sur lui pour véritablement retranscrire la mutation intérieure et physique du personnage principal – nous aurions aimé une esthétique mimétique dudit personnage, passant du luxe de l’intérieur bourgeois à la saleté des ghettos. Pour finir, citons une dernière fois James Baldwin dont la pensée, qu’elle passe par des romans ou des essais, théorisait depuis des décennies le propos défendu par Peele : « Nous ne pouvons pas échapper à nos origines, aussi fort que nous essayions, ces origines qui contiennent la clef – à supposer qu’on puisse la trouver – de tout ce que nous devenons par la suite ».