Un peu plus de quatre ans après le tendre Félix & Meira, voilà que Maxime Giroux revient en France avec un film situé à l’extrême opposé du précédent. Toujours accompagné par Martin Dubreuil, son acteur fétiche, et Sara Mishara, sa directrice de la photo, il nous propose cette fois ci une allégorie filmique aussi belle et poétique que violente et déroutante.
Fuyant la guerre qui fait rage au Canada, Philippe erre dans le désert américain et gagne sa vie en participant à des concours d’imitation de Chaplin. Voilà pour le synopsis un peu grossier du film qui pourrait presque passer pour une fable humaniste et un brin comique. Cependant, à partir de là, tout (absolument tout) est fait pour déstabiliser le spectateur, à commencer par l’époque et la guerre en question. Quand certains éléments de la déco laissent penser qu’il s’agit de la première guerre, une quantité d’anachronismes viennent figurer la seconde. Puis très vite, alors qu’on se familiarise à peine avec le personnage principal et le décor dans lequel ce-dernier évolue, les premières notes du tube de R.E.M. Everybody Hurts finissent par nous décourager complètement. De son propre aveu, l’histoire que Maxime Giroux raconte ici se veut intemporelle, comme s’il s’agissait d’une boucle se répétant infiniment. Lors de la première du film à Lille, quelqu’un a d’ailleurs émis l’hypothèse que le film se déroulerait dans un futur probable, post-effondrement. « Ca se pourrait bien » lui a simplement répondu le réalisateur, un sourire aux lèvres.
Mais ce récit presque universel donc, n’est pas celui d’un simple vagabond. Cherchant à se détacher le plus possible d’une narration « netflixienne » où tout est fait pour que le spectateur abandonne son cerveau et se laisse simplement guider par quelques effets de mise en scène, le cinéaste nous offre ici une plongée directe dans ses pensées et sa propre manière d’aborder notre système socio-économique destructeur. En réalité, le personnage de Philippe avance chaque jour dans l’immensité de l’Amérique profonde avec un but précis, celui de retourner chez lui auprès de sa mère. Sans carte ni guide, il rencontre sur son chemin une flopée de personnages, tous plus inquiétants les uns que les autres, qui forment à eux tous le système – n’ayons pas peur des mots – capitaliste. Les petits délinquants, les victimes, les bourreaux, les intéressés, tous répondent à l’appel, jusqu’au vendeur de cigarettes que d’autres ont parfois dépeints comme le diable incarné. Plus ou moins déshumanisés, chacun semble survivre à sa manière, ne s’entourant de camarades que par sécurité. Poussée par un casting impressionnant et une direction d’acteurs juste et précise, c’est finalement cette nécessité désespérée de survie qui insuffle une violence incroyable au film. Très loin des bains de sang que propose aujourd’hui le cinéma américain et qui banalisent l’ultra-violence au point de la rendre parfois comique, Le Déserteur choque forcément, heurtant au passage l’enfant naïf et innocent qui sommeille en chacun de nous. Aux côtés de Martin Dubreuil et Sarah Gadon, moins connus en France mais tout aussi talentueux, Romain Duris, Reda Kateb et Soko livrent ici une performance remarquable et semblent s’affranchir de tout jugement sur leurs personnages respectifs.
Cependant, au-delà de tout ce que porte l’œuvre sur le plan intellectuel, et qui nécessiterait un texte bien plus long que celui-ci pour vraiment creuser et tenter de définir le sujet, c’est son esthétique formelle qui frappe dès l’affiche et reste constamment l’un des points forts du film. Le travail sur la lumière et les couleurs est splendide, magnifiant des décors naturels qui feraient fureur sur Instagram. De son côté la direction artistique est irréprochable et il parait inconcevable qu’une seule personne ait pu gérer la déco, les costumes et le maquillage/coiffure. Puis se glissant en douceur sur l’image comme un chat face à sa proie, la musique vient alors sublimer le tout et apporte son lot d’inquiétudes au spectateur. L’influence d’une œuvre comme le There will be blood de Paul Thomas Anderson est palpable mais Le Déseteur réponds toutefois à ses propres références, à ses propres codes. Car pour illustrer cette idée d’une humanité vouée à disparaitre peu à peu face à la toute puissance du capitalisme, idée qu’il décrit lui-même comme étant fataliste, Maxime Giroux va directement pêcher dans l’industrie Hollywoodienne. Il y a bien sûr dès les premières secondes le discours de Chaplin dans Le Dictateur mais il y a aussi une multitude de plans calqués directement sur les œuvres d’Hitchcock. Soucieux de ces points de détails, le cinéaste va jusqu’à tourner dans l’exact même bar que John Huston dans The Misfits. Et puis finalement, entre ce que l’on voit et ce que l’on croit voir, il y a toutes ces références involontaires qui émeuvent. Alors que le dernier plan du film n’était pas initialement prévu, il semble répondre directement à l’ouverture de l’un des plus grands chefs-d’œuvre de John Ford, terminant ainsi la critique poignante que fait Le Déserteur du mythe américain et plus largement de notre société.
En signant La Grande Noirceur (titre original du film et ultime référence historique) qu'il tourne en moins de vingt jours avec une équipe de douze personnes (casting inclus), Maxime Giroux envoie ici un message clair. Le cinéma est un art et, comme tous les arts, il devrait toujours chercher à surprendre son spectateur, à créer quelque chose de nouveau. Il réalise ainsi un film à partir d’une idée originale et en se permettant toutes les libertés possibles dans le seul but de transcrire sa propre opinion et elle seule, qu’elle plaise ou non.
Maintenant ou plus tard, il faut voir Le Déserteur. Ne passez pas à côté.