Adapté d’un roman peu connu en France de H.G. Wells, « Les Amants passionnés » est avec « Brève rencontre » (du moins durant sa période anglaise) le film le plus abouti de David Lean, là où l’on retrouve le mieux l’élégance et la sensibilité d’un réalisateur capable de provoquer les plus grandes émotions sur un thème pourtant très classique. Seulement, si David Lean avait montré certaines difficultés à donner un style personnel à ses trois premiers films, qui devaient surtout leur réussite à la qualité de Noël Coward en tant qu’auteur, celui-ci développe désormais une maîtrise indéniable, comme en témoignait déjà ses deux belles adaptations de Charles Dickens, « Oliver Twist » et « Les Grandes espérances ».
Noir et blanc magnifique, musique envoûtante, construction narrative remarquable... Lean n’est plus le bon artisan au service d’un texte adapté, mais un auteur à part entière, capable de transcender son récit. D’ailleurs, la réussite du film ne se justifie pas uniquement par le talent de son réalisateur, mais aussi par la subtilité déployée par le scénario. Nous ne sommes jamais dans la caricature, le trait apparaissant au contraire toujours fin, nuancé, si bien que c’est toujours une réelle sympathie que nous ressentons vis-à-vis des trois personnages principaux. En effet, point d’odieux et violent mari qui pourrait justifier l’adultère, encore moins de destins contrariés par les évènements, juste deux hommes aimant la même personne et une femme qui ne sait pas véritablement ce qu’elle veut. Marie, l’héroïne, a beau être profondément amoureuse de son amant, elle ne semble jamais vraiment décidé à quitter son époux, mettant bien en évidence ce confort que lui apporte son mariage et la difficulté à quitter une situation aisée pour un homme qu’elle aime, mais avec qui l’avenir semble nettement plus incertain... Les actes de chacun sont ainsi toujours justifiés et permettent à l’ensemble de garder une profonde cohérence et crédibilité, sans que le récit oublie pour autant de développer plusieurs thèmes en parallèle, notamment celui du temps qui passe et sa manière de transformer même les sentiments les plus forts. Et si le film peut paraître très légèrement daté dans certains aspects, c’est en définitive bien peu pour ne pas apprécier cet émouvant mélodrame, fort bien joué par le trio Ann Todd (qui ne se contentait donc pas d’être la femme de Lean lors du tournage) - Claude Rains - Trevor Howard, et brillamment mis en scène par un artiste qui ne cessera durant encore trente ans de nous ravir. Passionnant.