Le dernier film d’Anne Fontaine tombe pile, je trouve… Il met en scène trois « bleus », des flics en tenue très éloignés des policiers qui habitent habituellement les polars du petit et de grand écran. Ceux là ne résolvent pas les enquêtes, ils ne s’infiltrent pas dans le crime organisé, ils ne bataillent pas avec les juges d’instruction. Ceux là œuvrent dans l’ombre pour maintenir un tant soit peu la sécurité et la paix sociale, avec du matériel défaillant, des missions sans gloire et une hiérarchie sclérosée. Anne Fontaine propose un film qui s’étale sur 24h grand maximum, et après une longue introduction plutôt bien amenée, il consiste essentiellement en un huis clos psychologiquement très éprouvant dans une voiture de police. Grace à son savoir faire, son film passe tout seul.
Pendant à peu près 20 minutes, on revit la même journée, d’abord du point de vue de Virginie, puis de celui d’Erik, puis de celui d’Aristide et puis enfin, très succinctement de celui l’infortuné Tohirov.
C’est très bien filmé, très bien monté et à cela à le mérite de bien poser d’emblée les enjeux psychologique des 4 protagonistes de cette nuit pas comme les autres. Ensuite, avec la musique, l’utilisation du hors champs
(dans la scène d’aéroport, terrible…)
, le jeu à travers les vitres de la voiture, la façon d’utiliser les lumières de la ville, les plans resserrés sur les regards, Anne Fontaine nous ballade d’états d’âmes en états d’âmes des états d’âme parfois silencieux qui se complètent, s’opposent et même, d’une certaine façon, se répondent. « Police » est techniquement très réussie et plutôt équilibré, avec une conclusion
douce-amère sans happy end, sans morale, sans explications démonstratives
.
Le film se termine comme il a commencé, par la vie quotidienne de 3 flics qui ne vont pas bien mais qui s’accrochent, parce que c’est la chose à faire.
Evidemment, un film comme celui-là doit beaucoup à ses comédiens. La partition de Payman Moaadi est difficile à mettre évaluer, dans un rôle silencieux et très passif, il lui fallait juste faire passer le désespoir et la peur par le regard, c’est mission accomplie. Des 3 comédiens français, c’est peut-être Virginie Efira qui impressionne le plus. En en faisant très peu, elle donne corps à une Virginie déboussolée par sa vie personnelle, et de plus en plus démunie devant son métier. On sent qu’elle rempli ses missions du mieux qu’elle peut mais qu’au fond, elle n’y croit plus vraiment. Grégory Gadebois est formidable, mais Grégory Gadebois est toujours formidable, aucun scoop là-dedans. Obéissant aux ordres, « monsieur règlement » apparait froid et distant
mais c’est un homme au bord de la rupture qui affleure, et aucun de ses collègues ne peut s’en douter. Ils sont combien dans les commissariats, des policiers comme çà, qu’on retrouve suicidé dans les vestiaires ?
Omar Sy a une partition plus délicate encore, grande gueule en apparence, macho et assez pénible pour ses collègues, il doit lui aussi gérer sa grande solitude d’homme déraciné et sans attaches. Même s’il ne démérite en rien, c’est peut-être lui le léger maillon faible du casting, au regard de la performance des deux autres. Le titre du film, dans le générique de début, est inscrit à l’envers, comme reflété dans un miroir. C’est tout sauf une coquetterie, c’est bien une police qui se regarde dans un miroir qui est ici mis en image. A partir du moment où Virginie commence à lire la dossier de Tohirov, le ver est dans le fruit et le cas de conscience qui s’impose peu à peu à eux les renvoi à leur propres failles, leur propre souffrance et surtout à leurs propres principes. Virginie est devant ce qu’on appelle un « conflit de valeur », on lui ordonne de faire quelque chose qu’au fond d’elle, elle désapprouve. Le film d’Anne Fontaine tombe pile car il rappelle que derrière les uniformes, il y a des personnes, des scrupules, des valeurs. Mettre ou enlever les tenues ne les fait pas disparaitre.
Dans le cas présent, en envisageant de laisser Tohirov s’enfuir, chacun à leur façon, ils crèvent l’abcès de leur propre souffrance. Ce serait un soulagement temporaire, pour tout le monde, aucun problème de s’en trouverait résolu pour personne, mais à ce moment précis, ça leur parait la seule chose à faire. C’est surtout Virginie qui ressent cette urgence, Aristide la devine (la scène des feux rouges est très réussie), Erik la combat, mais c’est au fond la même urgence de soulagement immédiat. Il y a quelques scènes fortes, comme celle des feux rouges, celle de la forêt (lourde de sous entendus sur Tohirov), toutes les scènes à Roissy, mais entre ces scènes, on a toujours l’impression d’être sur le fil de la lame, même quand il ne se passe pas grand-chose. 10 fois je me suis dit que cela pouvait basculer dans le drame sans crier gare, le spectateur n’est jamais « tranquille » devant cette intrigue toute simple.
Et c’est la conjugaison du travail d’Anne Fontaine, de la composition des comédiens et du scénario (adaptation d’un roman d’Hugo Boris) qui concourent à cette réussite.