Police d’Anne Fontaine se saisit de la voiture de fonction aux gyrophares bleus comme d’un espace cathartique dans lequel les consciences s’expriment et se purgent : le conflit est incessant, d’abord personnel et domestique, ensuite interpersonnel et hiérarchique – faut-il suivre les ordres reçus d’en haut ou écouter son cœur ? –, deux origines d’un même conflit dont les personnages ne parviennent à se soustraire, sinon par la désobéissance. Voilà peut-être l’un des fils directeurs de la filmographie de la cinéaste : suivre des personnages désobéissants, tiraillés entre l’appartenance à un contexte historique, géographique, professionnel ou moral d’une part, leur besoin d’accomplir ce à quoi ils croient d’autre part, d’aller jusqu’au bout de leur mission. Aristide le dit fort bien : « ne pas penser, faire le vide, souffler et avancer ». Le long métrage met en scène le chaos de la pensée cohérente, l’impossible prise de recul sur une situation urgente : les personnages vivent dans l’immédiateté de leur présent et savent que leurs choix, savent que leurs actes seront décisifs pour l’avenir d’un homme, d’une collectivité, d’une cause. Aussi la structure du film mêle-t-elle avec intelligence le passé et le présent sous la forme de flashbacks aussi maîtrisés que dramatiquement justes. Le dilemme que rencontrent les personnages les raccorde aux fondements de l’existence : donner la vie, prendre la vie, condamner à mort. Et la seule fenêtre dont ils disposent est celle du regard. Police ne cesse de filmer les yeux de ses quatre acteurs principaux, tantôt frontalement, tantôt saisis dans le reflet d’une vitre, d’un rétroviseur. Deux ronds blancs dans l’obscurité, deux accès sur une même âme à évaluer, transporter jusqu’à la tombe. Aristide se plaint de l’ambiance morne – on lui a coupé la radio et ses chansons françaises – et compare la voiture de police à un corbillard. C’est un échantillon d’humanité qui roule vers sa fin, l’ivresse d’un amour interdit que l’on confronte à sa conséquence directe (un fœtus), l’engloutissement d’un ménage dans la mer et ses vagues, sauvés in extremis par une conversion à l’autre dans ce qu’elle a de plus douloureux, de plus beau et de plus radical. Police est l’histoire d’un sauvetage, d’un dialogue avec la mort qui tient lieu d’immersion au sein d’une profession tant décriée aujourd’hui, et qui méritait bien un grand film. C’est chose faite.