La Belle Epoque de Nicolas Bedos est présenté hors-compétition au Festival de Cannes 2019
L'idée de La Belle époque est venue d’une situation qui a paru à la fois pathétique et comique pour Nicolas Bedos : un type vieillissant est chez lui, il se dispute avec sa femme qui lui reproche sa misanthropie, son côté dépassé par l’époque, la technologie, Macron, ses enfants, bref, le type sort de la cuisine, traverse un couloir et rentre dans une petite pièce où tout le ramène dans les années 70, de la déco aux magazines disposés devant lui. Une sorte de bulle de protection régressive qu’il s’est lui-même fabriqué. "Je le voyais allumer une gauloise, mater une speakerine dans un téléviseur en bois et pousser un soupir de soulagement. Voilà : un homme qui se noie dans le présent et qui fuit dans une époque dont les codes le rassureraient, le protégeraient. Je voulais filmer ce vertige que l’on ressent parfois autour de soi, cette défaite psychologique, et cette solution à la fois grotesque et assez bouleversante. Je me suis dit que cette image contenait quelques promesses de cinéma."
Dans le film, la société créée par Antoine (Guillaume Canet) offre à chacun de ses clients une plongée dans une époque du passé qu’il veut vivre ou revivre. "L’idée m’est venue de ma propre saturation face à l’inflation de séries, comme si la fiction « classique », c’est-à-dire des images dans un écran, n’impactait plus assez le spectateur. J’ai imaginé cette boîte de reconstitution théâtrale qui immergerait physiquement le spectateur dans l’histoire. Rien à voir avec un dispositif sophistiqué du type « Black Mirror » ou autre. Là, l’innovation d’Antoine repose sur de simples éléments de décor, une documentation, des comédiens. Je voulais montrer des coulisses, comme celles dans lesquelles j’évolue depuis que je suis né. Ça nous a permis, à moi et mon équipe, de mettre en valeur l’aspect artisanal du cinéma et du théâtre ! Habilleurs, décorateurs, machinos, assistants, comédiens : le film présente une équipe au travail !", se souvient Nicolas Bedos.
Contrairement à M. & Mme Adelman, Nicolas Bedos ne joue pas dans La Belle époque et se concentre cette fois-ci uniquement sur la réalisation. "J’ai adoré jouer et réaliser en même temps car ça permet d’être totalement immergé dans la scène : on peut l’orienter de l’intérieur, par le jeu, par le regard que l’on renvoie à ses partenaires. Mais pour La Belle époque, je voulais profiter davantage de mon équipe technique. Jouer m’en éloigne un peu. Et puis le scénario aborde des thèmes si personnels que je ne voulais pas y ajouter ma présence à l’écran, c’eût été un pléonasme ! Avant le tournage, Guillaume Canet a pu craindre que le fait qu’il joue Antoine provoque chez moi une frustration, des tensions, du fait que j’aurais pu le jouer. Mais dès que le tournage a commencé, on a pris énormément de plaisir à fabriquer ce personnage tous les deux."
Pour Nicolas Bedos, choisir Daniel Auteuil pour le rôle de Victor était une évidence. Il fallait un acteur auquel le public s’identifierait très facilement, dès les premières minutes. D’autre part, le scénario oscillait sans cesse entre comédie et drame, parfois au sein d’une même scène, et rares sont les acteurs à maîtriser ce mélange des tons, selon le réalisateur. "Daniel a tourné avec Claude Sautet et André Techiné, deux metteurs en scène que je place au sommet de mon panthéon du cinéma français. Je savais donc son respect des répliques, des silences, des rapports ambivalents entre les personnages. Je cherchais également un homme dont l’âge « mûr » ne rendrait pas pour autant pathétique ou grotesque ce retour à sa jeunesse, aux costumes cintrés des années 70 ! Un homme sans âge. Qui nous ferait croire à son histoire d’amour avec une très jeune femme, sans que cela paraisse jamais libidineux, prosaïque. Je dois dire que Daniel a largement dépassé tous les espoirs que je mettais dans ce personnage", confie le cinéaste.
Nicolas Bedos a construit l'atmosphère visuelle de La Belle époque avec le chef-opérateur Nicolas Bolduc, déjà présent sur Monsieur et Madame Adelman. Il a très vite été assez pertinent que les scènes qui se situent dans le présent seraient tournées à l’épaule, afin de traduire l’anxiété de Victor face au progrès, et que toute la partie studio serait constituée de mouvements amples, doux, car le personnage retrouve ses repères. "Nicolas et Pascal le chef Electro ont mis au point un système qui permettait de passer du jour à la nuit, du joyeux au triste en quelques secondes. Ce qui était formidable avec le fait que Victor sait que tout est factice, c’est qu’on a pu fabriquer des nuits et des « soleils » très stylisés, à la limite de l’irréaliste, en y glissant plein de couleurs. En revanche, le personnage joué par Guillaume revendiquant son souci du détail et de l’authenticité, les scènes d’époque, notamment celles du château, ont été éclairées entièrement à la bougie, sans aucun artifice, tous les costumes étaient d’époque, ce qui a ravi mes producteurs", s'amuse le metteur en scène.
Nicolas Bedos avait demandé à ce qu’on installe un piano dans le café du film, comme un élément de décor, et il jouait souvent dessus pendant le déjeuner, l’installation technique, les pauses. C’est là que sont nés deux thèmes qu’on retrouve dans le film. "D’autres thèmes ont été composés par Anne-Sophie Versnaeyen, une violoniste à qui je devais déjà l’orchestration de la BO d’Adelman. Notre difficulté consiste à se maintenir en permanence entre émotion et ironie pour respecter le ton du film. Même chose pour les chansons qui passent dans le bar. Quel niveau de lyrisme peut-on s’autoriser ? C’est pour cela que Billie Holiday, par exemple, m’a semblé idéale. Son The man I love charrie une émotion subtile, pas racoleuse."